Geno Auriemma, la légende qui façonne les légendes

Le débat autour du meilleur coach de l’histoire du basket est vaste. Sur quels critères se baser ? Le nombre de titres ? La longévité ? Les records ? Si vous effectuez un petit sondage auprès des passionnés de basket, ce sont à peu près les mêmes noms qui reviennent : Phil Jackson et ses 11 bagues de champion, Gregg Popovich pour la dynastie et la culture instaurées à San Antonio, Red Auerbach pour son règne fantastique à Boston, Pat Riley et ses 5 titres avec L.A. et Miami… Rares sont ceux qui vous citeront le nom de Geno Auriemma. Encore faudrait-il que plus de 20% des sondés sachent qui est le gourou de UConn et du basket universitaire américain…

Vous ne ressortirez peut-être pas de cet article en vous disant que cet homme est le GOAT dans son domaine. Mais l’oeuvre de Geno Auriemma méritait d’être mise en lumière. Auriemma est une légende vivante en NCAA, hommes et femmes confondus. Personne n’avait jamais remporté 11 titres de champion, pas même le mythique John Wooden à UCLA. Toujours sur le plan comptable, il est le premier coach à avoir gagné plus de 100 matches consécutifs (111 !) jusqu’à une défaite en 2017 au Final Four contre Mississippi State. Au-delà des stats, le boss des Huskies a surtout le mérite d’avoir créé une culture et une identité fortes à partir de rien ou presque, et poli des diamants bruts comme Rebecca Lobo, Sue Bird, Diana Taurasi, Swin Cash, Tina Charles, Maya Moore ou Breanna Stewart. Toutes reconnaissent l’influence déterminante d’Auriemma sur leur carrière. C’est leur réussite au plus haut niveau et le statut d’icône qu’elles ont pour la plupart acquis qui sont sans doute ses meilleurs arguments pour être rangé dans la même catégorie que les grands noms cités plus haut. Malheureusement, il y a quelques obstacles entre son génie et l’accès à une plus grande popularité.

Geno l’architecte

Pour commencer, Auriemma coache des filles. Première épine dans le pied quand il s’agit de convaincre les arriérés qui n’ont aucune considération pour le “basket féminin”, un terme qu’il déteste d’ailleurs au plus haut point. L’absence d’expérience en WNBA pourrait en être une seconde, mais ce serait méconnaître le prestige qui entoure le sport universitaire aux Etats-Unis. Sur le campus de Storrs, le double médaillé d’or olympique avec Team USA a bâti une usine à championnes en même temps qu’une superpuissance dont il tire absolument toutes les ficelles. Pourquoi abandonner ce qu’il a bâti de toutes pièces et qui est un challenge permanent, alors que UConn lui a offert 15 millions de dollars et un contrat quasiment à vie ? Geno Auriemma n’a jamais ressenti le besoin de quitter le Connecticut, comme Mike Krzyzewski, le célèbre “Coach K” de Duke, n’a jamais remis en cause sa loyauté envers les Blue Devils.

Mais avant qu’il ne devienne ce pourvoyeur de talents magnifiques vers la WNBA pendant plus de trois décennies, il y a eu du chemin et une histoire. Celle d’un immigré italien, arrivé aux Etats-Unis à l’âge de 7 ans avec ses parents. Luigi Auriemma, de son vrai nom, ne parle pas un mot d’anglais en 1961 lorsqu’il débarque à Norristown en Pennsylvanie, en provenance de Montella, une ville du sud de l’Italie. Ce sont ces racines transalpines qui l’ont d’ailleurs aidé à créer un lien fort avec Diana Taurasi, qui décrit son ancien coach comme “son père (Mario Taurasi est né en Italie), mais avec des cheveux”. En grandissant, Luigi devient “Geno”, au gré de ses premiers jobs comme assistant-coach dans deux lycées de Philadelphie. Il admire Jack Ramsay, le coach culte de Portland, en qui il voit le modèle de “coach-professeur” qu’il aimerait répliquer au plus haut niveau. En 2006, Ramsay lui fera d’ailleurs l’honneur d’introduire son entrée au Hall Fame de Springfield. Mais c’est surtout de Buddy Gardler, son mentor à la Bishop High School, dont il s’inspirera le plus. Si Auriemma est aujourd’hui l’archétype du coach old school, cash et adepte du tough love, c’est grâce à lui.

“Les règles étaient claires et tout le monde s’attendait à ce qu’on les suive. Jouer pour Gardler était facile, vous deviez simplement faire absolument tout ce qu’il vous disait”, raconte Auriemma dans sa biographie.

Vient ensuite une expérience à la fac de Virginia, toujours comme assistant. Le job lui plaît et il se sent bien chez les Cavaliers. Sa femme Kathy attend une deuxième fille au moment où l’opportunité de devenir head coach de Connecticut à 31 ans lui est offerte en 1985. UConn n’est alors pas la place forte d’aujourd’hui sur le plan du basket. Le palmarès chez les garçons, comme chez les filles, est vierge. Le campus de Storrs est à 8 heures de route de celui de Charlotesville où Geno exerçait jusque-là. Les Huskies n’ont pas de vestiaire fonctionnel et le toit de la salle d’entraînement fuite à la moindre intempérie, rendant fréquemment le terrain impraticable. Pour ne rien arranger, il récupère une équipe qui n’a fini qu’une seule fois avec un bilan positif sur ses 11 années d’existence et n’a participé à aucune des premières éditions de la March Madness. Pas de quoi effrayer le bonhomme. Les moyens modestes, Auriemma en a l’habitude, lui qui a grandi dans un milieu très précaire et s’est marié “pauvre mais heureux” quelques années plus tôt.

Old school, cash et amour vache

Sur le terrain, il ne veut pas entendre parler d’excuses et son style, très clair, est le même aujourd’hui qu’il y a 35 ans. Il tient tout le monde à la même enseigne et toutes les joueuses passées sous ses ordres peuvent en témoigner. Auriemma n’accorde aucun passe-droit et est passé célèbre dans l’art de sortir le lance-flammes pour critiquer ses meilleures joueuses lorsqu’il les trouve à côté de la plaque. De Taurasi à Stewart en passant par Moore, les stars du programme ont expérimenté le ton sec et franc du collier de Geno Auriemma et ses sanctions en plein match.

Je me moque que tu sois la meilleure joueuse de l’année ou la joueuse la plus incroyable à avoir jamais joué au basket.

Geno Auriemma

“Quand je sors une joueuse comme Breanna Stewart après cinq minutes de jeu et qu’elle ne rentre plus du match, ça n’a absolument rien de subliminal et je ne m’attends pas à ce qu’on lise quoi que ce soit entre les lignes. Je me moque que tu sois la meilleure joueuse de l’année ou la joueuse la plus incroyable à avoir jamais joué au basket. Je me suis habitué à un certain niveau de jeu ici. Quand tu n’es pas à ce niveau, tu ne joues pas”, expliquait-il dans l’Associated Press en 2015.

Ses anciennes joueuses ne tarissent pas d’éloges sur la méthode Auriemma.

“Coach Auriemma a toujours fait du bon travail pour garder ses joueuses concentrées. Il incite à penser à une chose à la fois, sans se soucier de l’adversaire, du score ou du trophée qu’il y a au bout. Il procède par tous petits objectifs. Il te demande si tu es capable de faire cette chose-là sur la prochaine action. Il veut que tu lui prouves qu’il a raison ou qu’il a tort sur ce qu’il vient de te dire”, raconte Diana Taurasi dans le L.A. Times.

Maya Moore se souvenait l’année dernière dans Sports Illustrated d’une anecdote assez symbolique de la manière de fonctionner de l’intéressé.

Maya, si tu veux dunker, dunke pour de bon

Geno Auriemma à Maya Moore

C’était pendant mon année sophomore je crois. Pendant un match, je me suis retrouvée en contre-attaque, toute seule face au panier. Je pensais pouvoir dunker. Je mesure 1.83 m, donc ce n’est pas simple pour moi d’aller aussi haut. Mais à l’époque, j’avais de la détente, donc je me suis dit : ‘Allez, je vais aller dunker ça’. C’est le grand classique : tu te demandes si tu dois le faire ou pas, tu tergiverses et quand tu arrives en l’air tu te demandes si tu en es finalement capable et si tu ne devrais pas tenter un finger roll. J’ai essayé et j’ai raté. Le coach m’a sortie juste après. Il s’est assis à côté de moi. Je savais qu’il allait me dire quelque chose… Il m’a simplement dit : ‘Si tu veux dunker, dunke pour de bon’. Pour moi, c’était l’exemple parfait de la situation où tu as peur de te faire disputer mais où il te dit, en gros, qu’il a confiance en toi et que tu peux le faire. Dans le même temps, il voulait que j’assume mes responsabilités. C’était un super exemple de coaching”.

Sue Bird, elle, était souvent ciblée par Auriemma, même lorsque c’était une coéquipière qui fautait. A la manière de Gregg Popovich ou Phil Jackson, il utilisait ce ressort psychologique pour que tout le monde se sente à égalité dans le vestiaire.

Le franc parler de Geno Auriemma et la froideur avec laquelle il assène parfois ses vérités, en privé comme en public, font parfois penser qu’il n’est pas le plus pédagogue et aimable des grands noms du coaching. C’est de notoriété publique, l’Italo-Américain aime les choses claires et bien exécutées. L’autorité du coach doit être respectée et érigée en valeur fondamentale. Bon nombre de ses homologues en NCAA n’avaient pas apprécié cette sortie où il expliquait justement ce concept.

“La majorité des coaches américains ont peur de leurs joueurs. La NCAA, leurs supérieurs hiérarchiques et la société les ont rendus comme ça. Dans tous les articles, on retrouve des choses comme : ‘ce mec ou cette femme est un tyran, il ou elle a dépassé les bornes, il ou elle a eu un comportement inapproprié… Les joueurs et les joueuses, par contre, s’en sortent toujours. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. S’ils n’aiment pas quelque chose que tu leur dis, ils changent de fac. Les coaches doivent travailler avec les mains liées. Pourquoi ? Parce que certains ont abusé de leur rôle. Quand un coach crie après ses joueurs, il n’a pas à se soucier de ce que les médias vont en dire, mais ce que ses joueurs vont en penser. S’ils se mettent tous à vouloir changer d’équipe ou à l’abandonner, c’est qu’il est allé trop loin. S’ils se mettent à jouer plus dur pour lui, à gagner, à l’aime, à rester dans leur équipe, alors c’est de la passion”, a-t-il expliqué dans le LA Times.

Geno the Jerk ?

Geno Auriemma n’a pas fait passer UConn d’un programme moribond à une machine de guerre uniquement avec des câlins. Il n’a jamais non plus été là pour se faire des amis. Sa rivalité intense et pas toujours très fair play avec Pat Summitt, la regrettée coach de Tennessee (dont on vous parlait dans un portrait il y a quelques mois) a longtemps animé les débats universitaires. Paradoxalement, s’il a toujours défendu bec et ongles la valeur des femmes-athlètes (il a pris la parole lors du mémorial pour Kobe Bryant et sa fille Gianna), le patron des Huskies a déjà fait grincer des dents en évoquant le manque d’opportunités pour les femmes coaches dans le basket. Sa propre fille Alysa l’avait interpellé après avoir entendu son père expliquer qu’il n’y avait pas de problème de représentation et d’opportunités et que le souci venait simplement du fait qu’il n’y avait “pas beaucoup de femmes qui avaient vraiment envie de coacher”.

Il ne faut pas compter sur lui pour s’excuser ou revenir sur des propos maladroits. Auriemma est définitivement à l’ancienne. Ce qui implique aussi une proximité assez fantastique avec ses joueuses. Avant de raconter le drame personnel de son enfance dans le Players’ Tribune, Breanna Stewart a d’abord contacté Geno Auriemma pour lui en parler. Entre deux critiques sur des matches pas assez aboutis à son goût, il a toujours fait comprendre à ses joueuses qu’elles pouvaient venir dans son bureau pour des problèmes personnels, comme une figure paternelle.

Et maintenant ?

Sur le plan sportif, Geno Auriemma sont dans une période creuse. Depuis le départ de Breanna Stewart pour la WNBA en 2016, les Huskies n’ont pas remporté de titre et cherchent toujours l’héritière. Cette joueuse capable de porter le projet de son coach et de devenir, en quatre ans, celle que tout le monde s’arrachera chez les professionnels. Auriemma et son staff croient beaucoup en Paige Bueckers, la lycéenne la plus cotée du moment, qui a donné son accord pour rejoindre l’armada de UConn la saison prochaine et perpétuer le cycle.

Il viendra un jour où un homme ou une femme aura l’énorme pression de succéder à Geno Auriemma, qui a eu 66 ans en mars dernier. La fin d’un coach mythique approche, mais on a quand même dans l’idée qu’il ne baissera pas pavillon avant d’avoir été chercher un dernier titre. et préparé comme il se doit sa succession sur le banc. Le moment sera alors bien choisi pour enfin parler de lui comme de l’un des meilleurs coaches de l’histoire du basket. Tout court.

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