Dans l’imaginaire américain, la ville de Detroit évoque d’emblée quelques références culturelles très précises. Ancien fleuron de l’industrie automobile, elle a vu naître le célèbre label soul de la Motown, ainsi que la musique techno. À chaque chapitre de son histoire, la cité du Michigan s’est employée à renvoyer la même image. Celle d’une communauté de travailleurs contraint à la solidarité face aux volontés imposées par la course à la modernité. Sur le plan sportif, les Bad Boys des Detroit Pistons, champions NBA en 1989 et 1990, incarnaient parfaitement ces valeurs. Lorsque la WNBA entame sa première phase d’expansion en 1998, c’est donc sur le même objectif que se fonde leur petite sœur du Detroit Shock.
À l’image de ce que connaissent tous les nouveaux clubs professionnels dans les ligues sportives américaines, le Shock doit d’abord se construire un effectif à partir de jeunes joueuses inexpérimentées et de vétéranes dont personne ne veut. Mais avec la très respectée Nancy Liebermann à la baguette, à la fois comme coach et comme GM, Detroit va pourtant proposer un premier exercice étonnamment réussi, ne manquant les playoffs que d’un cheveu. Grâce aux performances de la croate Korie Hlede, qui finit deuxième au classement du Rookie of the Year, et de l’intérieure Cindy Brown, qui tourne en double-double de moyenne, les promesses sportives se traduisent rapidement par une bonne affluence dans les tribunes. Dans la Motown, tout semble donc réuni pour que l’expansion représente un vrai succès.
Péquenauds de Detroit
Malheureusement, les quatre années suivantes seront véritablement désespérantes. Le Shock coule jusqu’à endosser le costume peu enviable de cancre de la ligue. En 2000, alors qu’elle est impliquée dans un scandale qui secoue son vestiaire, Lieberman est remerciée par la direction. Selon divers témoignages, la coach aurait en effet entretenu une relation secrète avec l’une de ses joueuses. Cette rumeur, jamais formellement vérifiée, ne fait qu’enfoncer davantage la franchise dans sa spirale négative. Au début de la saison 2002, même si le parfum du scandale semble se dissiper, l’équipe n’a pas pour autant fini de porter sa croix. Car le Shock s’applique à écrire, match après match, un record de médiocrité. Au lendemain d’une dixième défaite de rang, le remplaçant de Lieberman est à son tour congédié.
En quête d’un nouvel entraîneur, le front office de Detroit décide d’invoquer une légende locale : Bill Laimbeer, l’une des figures les plus emblématiques des Pistons des années 80. Autant adulé dans la Motor City que détesté partout ailleurs à cause de son tempérament bagarreur, le Prince of Darkness a pour mission d’insuffler à son groupe cette identité rugueuse qu’il incarnait à la perfection. Petit bémol : au moment de s’installer sur le banc du Shock, Laimbeer ne compte aucune expérience de coaching professionnel sur son C.V. Dès lors, personne ne s’étonne de voir Detroit essuyer trois défaites supplémentaires pour inaugurer son mandat, fixant au nombre de treize le nouveau record WNBA de défaites consécutives (depuis battu par Atlanta). Même si l’équipe finit par débloquer le compteur de victoires, son bilan final de 9-23 demeure le pire de la ligue. Laimbeer garde néanmoins la confiance des dirigeants qui lui accordent le temps nécessaire à un remodelage complet de l’effectif.
Ain’t no mountain high enough
À l’intersaison, le coach profite de la draft de dispersion consécutive aux faillites du Miami Sol et du Portland Fire pour récupérer la pivot Ruth Riley. Ensuite, lors de la draft traditionnelle, il fait usage du troisième pick pour sélectionner la power forward Cheryl Ford, qui se trouve être la fille de Karl Malone. Avec l’insolence qu’on lui connaît, Laimbeer ne traîne pas pour se lancer dans des prédictions tapageuses. Il estime que, grâce à son travail, le Shock sera champion dès cette année. Quatre mois plus tard, silence radio chez tous les observateurs et les adversaires qui l’avaient pris pour un clown. Detroit vient en effet de clôturer sa saison régulière en inversant purement et simplement son ratio victoires/défaites par rapport à l’année précédente. Des honneurs individuels viennent forcément récompenser ce parcours stupéfiant, terminé en tête de la conférence Est. Pour sa première saison complète sur le banc de Detroit, Laimbeer est couronné Coach Of The Year, tandis que la bien nommée Ford ramène le trophée du Rookie Of The Year dans la Motor City.
Après avoir surpris tout son monde en saison régulière, le plus difficile commence pour les filles du Shock. Il s’agit à présent d’être à la hauteur des prétentions affichées par leur entraîneur en ne laissant pas le soufflé retomber. De grosses performances de Deanna Nolan et Cheryl Ford permettent de passer l’obstacle Cleveland au premier tour, tandis que le Connecticut Sun est balayé sans ménagement au second. Sur le point de disputer ses toutes premières Finals contre les Los Angeles Sparks de l’immense Lisa Leslie, double championnes en titre, le Shock est presque condamné d’avance. Sans surprise, L.A. prend le Game 1 avec la manière : Leslie score 23 points et capte 12 rebonds pour asseoir d’entrée son autorité. Piqué au vif, Detroit compte jusqu’à 19 points d’avance dans le Game 2. Mais ce matelas fond dangereusement à mesure que les secondes s’égrènent. Finalement, l’égalisation dans la série n’est arrachée qu’avec un seul petit point d’avance.
Lors de l’affrontement décisif, Swin Cash et Cheryl Ford tournent chacune en double-double pendant que Ruth Riley plante 27 points pour répondre aux 29 de l’arrière congolaise Mwadi Mabika. Le Detroit Shock l’emporte 83-78, mettant fin aux espoirs de three-peat des Sparks devant 22 076 spectateurs, la plus grosse affluence jamais enregistrée lors d’un match WNBA. En remportant ce titre, le Shock devient la première équipe du sport professionnel américain à passer de bonne dernière du classement à championne en l’espace d’une seule saison, donnant raison à la prédiction complètement délirante de son coach. Alors qu’elle n’est que la troisième marqueuse de l’équipe sur cette série, derrière Cash et Nolan, la pivot Ruth Riley voit son impact défensif récompensé par le trophée de MVP des Finals.
Après avoir connu l’ivresse de la consécration dans des circonstances historiques, les joueuses du Shock ont bien du mal à retrouver la concentration par la suite. Une gueule de bois qui se révèle tenace puisque, pendant deux saisons, le niveau de jeu de l’équipe est extrêmement décevant au regard des capacités démontrées lors de son run légendaire. Malgré l’arrivée de l’arrière all-star Katie Smith en provenance des Minnesota Lynx, les scénarios des saisons 2004 et 2005 sont sensiblement identiques, se soldant par des bilans victoires-défaites à peine à l’équilibre et deux éliminations consécutives au premier tour des playoffs. Tout porte à croire que le titre de 2003 était destiné à rester un one-hit wonder pour les filles de la Motown.
Un Shock à pic
Quand plus personne ne s’y attend, ces dernières commencent pourtant bel et bien à remonter la pente. En 2006, le Shock retrouve en effet ses standards d’antan en bouclant l’exercice sur un bilan de 23–11 qui lui vaut la seconde place à l’Est. Au bout d’une âpre bataille de trois matchs face au Connecticut Sun, Detroit retrouve enfin les Finals. Au menu, les Sacramento Monarchs emmenés par la meneuse superstar Ticha Penicheiro, qui viennent défendre leur titre. Dans un chassé-croisé qui tient la planète WNBA en haleine, les deux équipes se partagent les quatres manches et prennent la direction d’un Game 5 décisif à Detroit. Le suspens reste entier jusque dans le dernier quart-temps. Mais le Shock finit par prendre la mesure des Monarchs sur un score final de 80–75 pour s’octroyer le droit de soulever son second trophée de champion WNBA. Meilleure marqueuse de son équipe sur la série, Deanna Nolan est auréolée du titre de MVP des Finals.
La troupe de Bill Laimbeer confirme définitivement son retour au sommet de la chaîne alimentaire en s’emparant du meilleur bilan de la ligue l’année suivante. La postseason ne sera pas de tout repos pour autant. Déjà bousculé par une équipe de New York que personne ne voyait arriver à ce stade la compétition, Detroit doit à nouveau s’employer pour écarter les rivales territoriales d’Indiana au Game 3. Pour la dernière étape de cette intense campagne de playoffs, un Phoenix Mercury ambitieux attend le Shock de pied ferme en Finals. Comme l’année précédente, la série se prolonge jusqu’à un Game 5 décisif. Mais les tenantes du titre perdent complètement leur basket et voient leur sésame s’échapper à mesure que Cappie Pondexter (26 pts) et Penny Taylor (30 pts) noircissent la feuille de stats. Detroit s’incline nettement 108–92 à domicile et doit subir l’affront de voir Phoenix fêter son premier titre sur le parquet du Palace d’Auburn Hills. Ce match sera le dernier de Swin Cash sous le maillot blanc, bleu et rouge. En conflit ouvert avec Bill Laimbeer, l’ailière est transférée au Seattle Storm durant l’intersaison.
Connaissant les sources de motivation de l’ancien Bad Boy, on imagine l’état d’esprit revanchard dans lequel le Detroit Shock revient en 2008 pour tenter de rebondir de cette double déconvenue. Mais, à mi-saison, un enchaînement d’évènements pour le moins improbables va venir tester le groupe et sa capacité de concentration. Suite à un drôle de défi lancé par Laimbeer, Nancy Lieberman, qui avait coaché l’équipe entre 1998 et 2000, décide de retourner à l’entraînement, dix ans après avoir mis un terme à sa carrière de joueuse. Entre-temps, le Shock et les Sparks choisissent leur rencontre du 22 juillet pour revisiter à leur sauce l’épisode du Malice at the Palace. Alors qu’il reste à peine cinq secondes au tableau d’affichage, Plenette Pierson et Candace Parker déclenchent une bagarre qui finit par impliquer plusieurs joueuses et même l’assistant coach de Detroit Rick Mahorn. L’altercation aura de lourdes conséquences pour Cheryl Ford qui se rompt les ligaments croisés du genou droit en tentant de retenir Pierson. Cette blessure, synonyme de fin de saison pour Ford, ainsi que les différentes suspensions disciplinaires vont précipiter l’impensable.
Afin de pallier aux absences temporaires, Laimbeer propose un contrat de sept jours à sa vieille pote Nancy. Non pas pour intégrer son staff technique mais bien pour jouer sous ses ordres ! Lorsqu’elle entre en jeu le 24 juillet 2008, Liebermann devient, à l’âge de 50 ans, la joueuse la plus âgée à avoir foulé un parquet WNBA. Heureusement, cette curieuse séquence de trois jours ne représentera au final qu’une maigre distraction pour un vestiaire qui parvient à garder son objectif en ligne de mire, malgré la perte non négligeable de Cheryl Ford.
Après le règlement de compte désormais traditionnel contre le Indiana Fever, Detroit dispose de New York pour reprendre, pour la troisième fois consécutive, le chemin des Finals WNBA. Face à des San Antonio Silver Stars novices à ce stade de la compétition, le Shock ne verse pas dans les sentiments, malgré la présence de son ancienne pivot Ruth Riley dans les rangs adverses. C’est donc sur un coup de balais bien propre que Detroit récupère son titre. Pour ne pas faire de jalouses, c’est Katie Smith qui est cette fois désignée MVP des Finals grâce à ses 21.7 points de moyenne. En étant sacrée une troisième fois championne en l’espace de cinq ans, la franchise du Detroit Shock s’impose désormais comme la plus grande dynastie que la WNBA ait connue depuis les Houston Comets.
Du rythme au blues
Alors que débute l’exercice 2009 et que les joueuses du Michigan se préparent à ajouter un nouveau chapitre à leur légende, un énorme coup de théâtre se produit après à peine trois matchs. Dans un timing particulièrement mal choisi, puisqu’il venait tout de même de disposer de toute l’intersaison pour prendre une telle décision, Bill Laimbeer démissionne soudainement de son poste de head coach. His Heinous avoue sans détours guetter un retour en NBA et ne pas vouloir faire semblant d’être concerné par la saison du Shock. Il trouvera effectivement son bonheur quelques semaines plus tard en décrochant un poste d’assistant chez les Minnesota Timberwolves. Avec un tel coup dur à digérer, le Shock se retrouve rapidement en délicatesse. Rick Mahorn fait honneur à sa promotion en parvenant à remobiliser ses troupes et à les emmener jusqu’à leur cinquième finale de conférence consécutive.
La défaite contre Indiana annonce toutefois la fin d’un cycle, et pas uniquement sur le plan sportif. Car un autre ponte du club, et pas des moindres, quitte lui aussi brutalement la scène. Au plus fort d’une crise financière américaine qui dévaste la ville de Detroit, Bill Davidson, propriétaire du Shock et des Pistons, rend son dernier souffle. La franchise, qui vient de perdre deux millions de dollars en 2009, se retrouve mise en vente par sa veuve au pire des moments imaginables. Bien vite, il apparaît que la seule offre tangible émane d’un groupe d’investisseurs monté très loin du Michigan. Le couperet tombe dès la clôture de la saison. À partir de 2010, le Shock évoluera désormais à Tulsa, une ville moyenne de l’Oklahoma située à des milliers de kilomètres de sa Motor City natale.
Aussi surprenant que soit ce déménagement vers un aussi petit marché, la logique de Bill Cameron, le nouveau proprio, est limpide. Le club se retrouve en effet pour la première fois en tête des priorités pour son public local, puisqu’il est désormais débarrassé de la concurrence déloyale infligée par toutes les équipes de sport masculin installées à Detroit. En même temps qu’à ses frères, la franchise dit adieu à ses filles. Exit donc toutes les joueuses cadres qui ont fait la pluie et le beau temps à Detroit. Mais, engagé dans une reconstruction totale, le Tulsa Shock ne parvient jamais à se dépêtrer des sables mouvants qui tapissent fond de classement, pas plus qu’à remplir les tribunes les plus vides de la ligue.
Après six saisons lors desquelles l’équipe ne parvient qu’une seule fois à dépasser les 12 victoires, le propriétaire tire les leçons de son échec cuisant en décidant de migrer à nouveau, cette fois vers le plus gros marché avoisinant. En revoyant de fond en comble l’image de la franchise, il donne ainsi naissance aux Dallas Wings en 2016.
Dans ses bagages, il emporte le seul et unique motif de satisfaction à retenir des années Tulsa : la double all-star Skylar Diggins qui, après seulement trois ans dans la ligue, s’affirme déjà comme l’une de ses toutes meilleures meneuses. Le Shock aura donc terminé son histoire à Tulsa comme il l’avait commencée à Detroit, c’est-à-dire en grosse galère. En démarrant sous de mauvaises auspices à la fin des 90’s, sa sortie de route aurait pu être prématurée, à l’image de tant d’autres équipes WNBA qui ont déposé le bilan à la même époque. Mais l’arrivée d’une figure providentielle, en la personne de Bill Laimbeer, a transformé un club à la dérive en l’une des rares vraies dynasties de son histoire.
Malheureusement, comme pour toutes les équipes dont nous traitons dans ce cycle historique, ce sont les lois du business qui ont précipité son statut de victime sacrificielle. Il est vrai que, techniquement, la franchise est toujours en activité. Mais, en dehors d’un lien administratif ténu, les Dallas Wings que nous connaissons aujourd’hui n’ont franchement plus grand chose en commun avec la culture qui prévalait à Detroit dans les années 2000. Au contraire, l’héritage sentimental du Shock et de son magnifique palmarès appartient aux milliers de fans qui se sont époumonés dans le Palace d’Auburn Hills pour encourager une équipe qui incarnait leur ville à la perfection. Raillée mais fière. Peu sexy mais bosseuse. En danger mais résiliente et déterminée.
Compo all-time (Stats en carrière)
PG : Deanna Nolan
- 13.6 ppg, 3.8 rpg, 3.2 apg, 1.3 spg, 0.3 bpg
- 2006 Finals MVP, 4x All-Star, 2x All-WNBA 1st Team, 3x All-WNBA 2nd Team, 5x All-Defensive Team
SG : Katie Smith
- 13.4 ppg, 2.9 rpg, 2.6 apg, 0.8 spg, 0.2 bpg
- 2008 Finals MVP, 7x All-Star, WNBA All-Decade Team (2006) 2x All-WNBA 1st Team, 2x All-WNBA 2nd Team
SF : Swin Cash
- 10.7 ppg, 5.3 rpg, 2.4 apg, 0.8 spg, 0.5 bpg
- 4x All-Star, 2x All-WNBA 2nd Team
PF : Cheryl Ford
- 10,8 ppg, 9.7 rpg, 1 apg, 1.1 spg, 0.8 bpg
- 2003 ROY, 4x All-Star, 2x All-WNBA 2nd Team
C : Ruth Riley
- 6,3 ppg, 4,1 rpg, 1.2 apg, 0.6 spg, 1.3 bpg
- 2003 Finals MVP, 1x All-Star
6th : Plenette Pierson
- 9.6 ppg, 4.1 rpg, 1.5 apg, 0.7 spg, 0.5 bpg
- 2007 Sixth Woman Of The Year, 1x All-Star
Coach : Bill Laimbeer
- 57,7 % de victoires en saison régulière, 54,7 % en playoffs
Sources :
1998 Detroit Shock Year in Review, WNBA Archive
Detroit Shock Team History, Sports Team History
Detroit Shock – WNBA Prestige Rank, Nothing But Nylon
L’histoire des filles du Detroit Shock en WNBA, Les Chroniques de Motor City
The Detroit Shock “shocked” the world in 2003, Belly Up Sports
Shock’s Move To Tulsa Makes Financial Sense, M Live
How Nancy Liebermann Returned to the WNBA court at age 50, WBUR