Existe-t-il dans l’histoire de la NBA, voire du sport en général, un joueur plus détesté que Bill Laimbeer. “Prince des ténèbres” ou “l’assassin à la hache”, deux des multiples surnoms dont a pu être affublé Bill au cours de sa carrière, en sont le parfait exemple. Détesté par Larry Bird, Michael Jordan, Charles Barkley, Scottie Pippen et de multiples autres, rare étaient les adversaires qui reconnaissaient en lui ses qualités de joueur (il en avait pourtant). Au contraire, tous insistaient et insistent toujours sur le sale joueur, floppeur, violent, qu’il était. Beaucoup craignaient de pénétrer dans sa raquette sous peine d’en payer le prix.
En WNBA, en revanche, son image semble moins écornée. Si son caractère et ses piques hors terrain sont parfois critiqués, son palmarès, 3 fois champion avec le Detroit Shock, ne saurait être remis en question de même que ses qualités intrinsèques de coach. Il semble même proche de certaines de ses joueuses, plaisantant avec elles lors d’interviews. Alors que serait-il arrivé à Bill Laimbeer, ce boucher des parquets ? S’est-il assagi avec le temps et l’âge ? Petit focus sur le mal aimé de la NBA qui semble s’être racheté une conduite en WNBA.
Du joueur le plus détesté de l’histoire…
Double champion NBA, 4 fois All-Star, meilleur rebondeur de la ligue en 1986 et maillot retiré au sein de sa franchise mythique des Detroit Pistons, Bill peut se vanter d’une carrière de joueur impressionnante de réussite et de régularité. Pilier de la défense de fer des Bad Boys mais également pivot à la technique très sous-estimée, capable d’artiller de loin, le CV de Bill en tant que joueur ne peut finir qu’à un seul endroit : le Hall of Fame.
Et pourtant, ce n’est un secret pour personne, il est très peu probable que Bill Laimbeer nous fasse jamais l’honneur de sa présence à Springfield, d’un discours teinté de l’humour et des piques acerbes qui le caractérisent depuis tant d’années. Éligible depuis 1999 à cet honneur, il n’est pas naïf de penser que si la chance avait du lui être donnée, elle l’aurait été depuis longtemps.
Le parcours de joueur de Laimbeer est déjà fortement documenté et nous ne reviendrons pas dessus de manière exhaustive. Pour un résumé complet et détaillé, nous vous conseillerons l’écoute du très bon Podcast de PistonsFR, “Les Chroniques de Motor City”, dont cet épisode exclusivement dédié à Bill Laimbeer :
Pour les plus visuels d’entre vous, les excellents Alex et Léonce nous avaient également parlé de Monsieur Laimbeer dans un épisode de leur très bonne série documentaire “The Ball never lies” :
Comme expliqué dans ces deux documentaires, Bill Laimbeer a un profil atypique lors de son arrivée dans la ligue. Contrairement au cliché répandu de l’enfant élevé dans le dur, provenant d’une famille peu aisée, Bill Laimbeer est tout l’inverse. Gosse de riche, Bill arrive en NBA sans aucune revanche à prendre sur la vie mais avec une soif de gagner à tout épreuve et qui ne sera jamais tarie. Sa rencontre avec Chuck Daly, son coach chez les Pistons, va contribuer à façonner ce joueur que nous aimons détester.
Pivot dur au mal mais assez technique, Bill va vite comprendre qu’il n’a pas les armes athlétiques pour dominer par ses seules qualités de joueur. En revanche, son mental et surtout, sa capacité à influer sur le mental des autres, vont constituer sa plus grande force tout au long de sa carrière.
Là où de nombreux joueurs cherchent à gagner mais aussi et surtout à être aimés, Bill Laimbeer s’en fout. Sa capacité à faire dégoupiller un joueur adverse, le tout finissant en bagarre de bistrot sur le parquet, est une de ses spécialités. Se faire exclure en même temps que la star adverse, un objectif.
Avec cette attitude sur les parquets, Bill Laimbeer a fini par se façonner une carapace de détestation impressionnante, faisant de lui ce paria de la NBA actuel, proscrit du Hall of Fame malgré un palmarès à faire rougir.
…à un coach respecté ?
En 2002, après quelques années loin des parquets, Bill Laimbeer se rapproche de la balle orange et se voit proposer le poste de Coach du Detroit Shock. Son arrivée en WNBA est alors vue avec un certain scepticisme. On en est au début d’une tendance en WNBA à engager comme coach d’anciens joueurs NBA, parfois sans réelle expérience ou compétence de coaching. Ainsi, à l’arrivée de Bill en WNBA, Michael Cooper, Orlando Woolridge et Dee Brown sont coachs dans la ligue et seront rejoints dans un futur proche par Michael Adams ou Muggsy Bogues entre autres. Certaines voix s’élèvent contre ces nominations “marketing” qui font de l’ombre à des candidatures (féminines entre autres) plus solides.
Et force est de constater que sur le papier, Bill Laimbeer entre complètement dans ce cliché. En effet, depuis sa retraite en tant que joueur, son CV est complètement vierge en ce qui concerne le basketball. Bill d’ailleurs ne s’en cache pas, avec l’aplomb qu’on lui connaît. Lors d’un de ses premiers matchs en tant que coach, face au Charlotte Sting alors coaché par la légende Ann Donovan, cette dernière lui souhaite la “bienvenue dans le sport féminin” (Welcome in the women’s game). Ce à quoi il lui répondra :
Je connais le sport féminin, j’ai coaché l’équipe AAU (circuit amateur – ndlr) de ma fille.
Bill Laimbeer à Ann Donovan
Avec cette attitude arrogante qu’on lui connaît, le cocktail promettait d’être explosif. Et il le sera par moment, comme lors de cette rencontre Shock-Sparks de la saison 2008 qui finira en baston généralisée, initiée à la base par le duo Candace Parker-Plennette Pierson. Mais quand vous avez la paire Bill Laimbeer et Rick Mahorn au coaching dans le Palace d’Auburn Hill (ancien stade des Detroit Pistons et du Detroit Shock), cela pouvait-il finir autrement ?
Mis à part ces anecdotes, le bilan de Bill Laimbeer en tant que coach en WNBA s’avère brillant. 3 fois champions avec Detroit, Bill sera par la suite engagé par le New York Liberty, alors dirigé par son ancien coéquipier Isiah Thomas, avec 3 apparitions en playoffs à la clé. C’est enfin à Las Vegas qu’il pose ses valises. Après une première saison où l’équipe échouera aux portes des playoffs, la saison 2019 la verra y entrer de manière fracassante et augure de bonnes choses pour le futur.
Sur le plan personnel, Bill Laimbeer peut se vanter d’avoir été élu par deux fois coach de l’année. Il est, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le 4e coach avec le plus de victoires en saison régulière et le 3e en playoffs. La transition comme coach semble donc parfaite et Bill prêt à se racheter une réputation.
Et pourtant, une expérience parle une fois de plus contre lui… chez les garçons. En 2009, après 6 années fastes au Shock de Detroit, Bill est engagé comme assistant coach des Minnesota Timberwolves en NBA. Il y passera 2 saisons et le bilan sera clairement négatif. Non seulement les résultats sportifs ne suivent pas, bien qu’on puisse difficilement en tenir Laimbeer pour principal responsable. Mais Bill est décrit par les observateurs comme fainéant et incapable de nouer un lien avec les joueurs. Impossible de le voir comme un coach potentiel en NBA.
Alors Bill, méchant ou pas ?
A voir les images récentes de cette interview et la belle complicité qui semble l’unir avec A’ja Wilson, difficile de comprendre les commentaires sur son échec dans le Minnesota. Difficile de croire également qu’il s’agit de la même personne que ce pivot rugueux de la fin des années 80, adepte de la défense “corde à linge” et instigateur de ce fameux refus de serrer la main des Bulls en 1991 qui fait actuellement tant parler à la sortie des récents épisodes de The Last Dance.
Et pourtant, dans les joueuses ayant appris à son contact, beaucoup sont positives lorsque vient le moment d’évoquer le coach Laimbeer. Katie Smith, qui l’a côtoyé comme joueuse au Shock et comme assistante à New York par la suite, apprécie le respect dont fait preuve Bill à leur égard, les traitant, suivant ses propres mots, “comme des joueurs NBA, nous donnant la même chose et attendant de nous la même chose.”
Cheryl Reeve, actuelle coach des Lynx, qui fut son assistante à Detroit, est également élogieuse sur ses capacités de coaching. :
Bill est tout le temps trois temps en avance sur tout le monde dans ses réflexions.
Cheryl Reeve
Un élément qui était déjà présent chez Laimbeer en tant que joueur, selon Isiah Thomas :
Bill coachait déjà quand il jouait. Chuck Daly nous faisait énormément confiance. Nous avions beaucoup de gars sur le terrain qui disaient aux autres quoi faire, élaborant ensemble les tactiques de jeu. Et Bill comprend les concepts offensifs et défensifs aussi bien que n’importe qui.
Isiah Thomas
C’est Bill Laimbeer également qui va militer lors du All-Star Game 2019 pour que les joueuses sélectionnées puissent voyager en 1ère classe. Nous sommes alors bien loin de l’image d’arrogant fainéant des ses années Minnesota ou de l’enfoiré notoire de son époque NBA. Mais alors, Bill Laimbeer a-t-il changé ?
A’ja Wilson a, en tout cas, son avis sur le sujet :
Pour comprendre l’attitude de Bill Laimbeer et cette énorme différence de perception entre la NBA et la WNBA, deux éléments sont essentiels à prendre en compte.
Le premier est son envie irrépressible de gagner et surtout sa volonté de mettre tout en oeuvre pour y arriver. En tant que joueur, Bill avait compris qu’il lui faudrait aller au delà de son simple jeu pour dominer et surtout pour aider son équipe à dominer. En tant que coach, Laimbeer milite pour proposer à ses joueuses le meilleur environnement professionnel possible afin qu’elle puisse être le plus performant possible sur le terrain. Car seul cela compte pour lui. Il ne voit pas ses joueuses comme des hommes ou des femmes mais simplement comme des athlètes, et pousse à les mettre dans les meilleures conditions, avec leurs particularités.
Lors de son passage à Detroit, il aménagera les horaires d’entrainement pour permettre à Swin Cash de respecter ses engagements comme commentatrice NBA. Il se démènera également pour trouver à Katie Smith un appartement adapté à son énorme chien.
A ce sujet, sa femme, Chris, nous compte une anecdote surprenante, compte tenu de sa réputation. Lors de sa première année au Shock de Detroit, elle avait ainsi surpris une de ses conversations téléphoniques pendant laquelle il organisait le voyage d’une de ses joueuses qui avait accouché quelques temps auparavant. Il était ainsi en train de prévoir les modalités pour obtenir les sièges nécessaires et précisant de ne pas oublier de prendre un tire-lait pour les besoins maternels de sa joueuse.
Mais n’y voyez pas là une marque de sentimentalisme de la part de Laimbeer. Pour lui, il s’agissait comme toujours d’être compétitif et de mettre ses joueuses dans les meilleures conditions. Que cela doive passer par un vol en première classe, un appartement adapté ou par le fait de ne pas oublier un accessoire à la fois si anodin mais par moment si essentiel qu’un tire lait pour une jeune maman.
D’ailleurs, si vous lui demandez s’il est féministe, Bill vous rira au nez, voire vous répondra avec dédain :
Un quoi ?Je ne pense pas être comme ça du tout. Je ne suis pas dans ce truc de “Je suis une femme, écoutez moi rugir”. En tout cas, c’est à ça que je pense quand vous dites ce mot, quelqu’un qui essaye d’imposer sa volonté aux autres.
Bill Laimbeer à la question : “Etes-vous féministe ?”
Ce que Katie Smith commente de la façon suivante :
Il ne se voit pas comme tel. Mais considérant la façon dont il traite les femmes, coachs ou joueuses, il se comporte de cette façon.
Katie Smith
Le deuxième élément important à comprendre est la relation qu’a noué Bill Laimbeer avec Chuck Daly lors de son époque aux Pistons et l’enseignement qu’il en a tiré. Dans les années 80, Chuck Daly était un coach dur, avec un lien fort avec ses joueurs mais très exigeant, à l’ancienne. C’est de cette façon qu’il a pu former cette union de groupe dans cette équipe des Bad Boys. Et c’est dans cet état d’esprit que Bill Laimbeer cherche désormais à coacher.
Cela explique très certainement pourquoi sa méthode fonctionne en WNBA et a été un échec en NBA. La NBA est une ligue de stars, surpayées. Les enjeux sont énormes et se fâcher avec vos meilleurs joueurs n’est pas une option. La méthode “à l’ancienne” ne fonctionne plus et beaucoup de joueurs ont pris l’habitude d’être carressé dans le sens du poil, une attitude qui n’existe pas dans le Playbook de Bill Laimbeer.
Je suis un coach pour aller chercher un titre. Je gagne et je suis exigeant. Je demande des comptes. Mon boulot est de dire ce que tout le monde pense mais a peur de dire. Certaines personnes n’aiment pas ça. Tant pis.
Bill Laimbeer
En WNBA, au contraire, l’argent ne coule pas à flots et les stars le sont par leurs capacités sportives mais en ont rarement le statut financier. Une ligue où les joueuses ont faim de prouver qu’elles en valent la peine au sein d’une société où elles ont du mal à percer et où le discours à l’ancienne de Laimbeer peut plus facilement passer. Des joueuses avec qui, en étant exigeant, Bill peut nouer un lien pour créer un esprit de groupe, à l’image de son mentor Chuck Daly en son temps.
Le côté obscur
Mais ne croyez pas pour autant que le côté Bad Boy de Bill Laimbeer a disparu avec le temps. Tout au long de sa carrière, ses équipes ont toujours eu une forte connotation défensive. On ne se refait pas. Le Shock de l’époque avait d’ailleurs une réputation “à la Bad Boys”, comme le précisait Katie Smith. La mêlée générale contre les Sparks en est d’ailleurs un parfait exemple.
Cheryl Reeve, en 2007, parlait également de son côté obscur, alors peu présent dans le jeu féminin.
Laimbeer pousse à la limite, un élément que peu de femmes ont ou font. Beaucoup de joueuses sont extrêmement compétitives mais Laimbeer pousse ça à la limite, à jouer avec un sentiment d’urgence absolu.
Cheryl Reeve
Lors d’une séance vidéo avant un match contre Washington, en 2007, il leur suggèrera d’épicer un peu leur pose d’écrans si ceux-ci ne s’avéraient pas être assez efficaces avec “un coup de coude dans les biceps”, un retour à la bonne vieille époque des Pistons sans doute.
Et comment ne pas évoquer la rencontre récente avec Liz Cambage à Las Vegas, qui semble parfaitement rentrer dans ce rôle de méchante mal aimée et peut sans doute compter sur les conseils avisés de son coach.
C’est tous ces aspects qu’il nous faut prendre en compte lorsque l’on parle de Bill Laimbeer. Un compétiteur prêt à tout pour gagner, quitte à passer pour le méchant et même à aimer l’être sans se soucier le moins du monde du qu’en dira-t-on. Mais également un homme d’équipe, prêt à tout pour ceux qui ont la chance d’en faire partie.
Un coach qui est devenu un des principaux défenseurs de la ligue, non par conviction mais parce que l’environnement lui correspond bien et que pour lui, un athlète est athlète avant toute considération d’homme ou femme.
C’est au final son ancienne joueuse Swin Cash, avec qui il aura connu des hauts et des bas, qui le décrira le mieux :
Si vous ne connaissez pas Bill, vous allez penser qu’il s’agit du plus grand connard de la terre. Je peux voir au delà tout cela. Il a joué. Il connait le jeu. Il est compétitif et il veut gagner. Il ira à la guerre avec vous tous les jours.
Est-ce que je pense qu’il est taré (ndlr : dysfunctional) ? Oui. Mais est-ce un sacré coach ? Oui.
Swin Cash
Sources :
- ESPNW : The feminization of Bill Laimbeer – Kate Fagan – 11/09/2013
- The New-York Times : Aggressive, Infuriating and successful – Jere Longman – 05/06/2007