Le duo Sue Bird/Lauren Jackson fait partie des plus mythiques de la WNBA. En dix saisons passées à défendre ensemble les couleurs du Storm de Seattle, les deux joueuses ont non seulement marqué l’histoire de la ligue et du basket à jamais, mais elles ont aussi développé une réelle amitié qui fait de leur duo un des plus redoutables, mais aussi un des plus attachants qu’il ait été donné à voir sur les terrains. Alors, qui de mieux que Sue pour parler de Lauren ? C’était en 2016, à l’occasion de la cérémonie de retrait du maillot de LJ… On se tait, et on écoute.
“Bien, bien, bien, bien… Puisque toutes les choses gentilles ont déjà été dites, je me suis dit que c’était à mon tour d’intervenir, pour rétablir la balance. Lauren et moi nous sommes rencontrées le tout premier jour où elle est arrivée à Seattle, pour le premier entraînement… Et je dois commencer par là, puisque c’est le commencement… Elle venait juste d’arriver, elle s’est présentée… Puis que je me suis rendue compte cinq ou dix minutes plus tard qu’elle avait regardé tout l’entraînement en me prenant pour Adia Barnes.
Donc c’est ainsi que tout à commencé. Ces histoires sont assez connues… Tout le monde sait que pendant notre première année, on ne s’entendait pas spécialement bien en dehors du terrain… Je suis sûre qu’elle me détestait… Tu peux le nier Lauren, je sais que j’ai raison… Mais qu’importe… Oui, qu’importe, car sur le terrain, on s’entendait à merveille.
Et sur les terrains, tout le monde a dit à quel point tu étais incroyable… J’ai une chance folle d’avoir pu jouer avec quelqu’un comme toi, d’avoir pu ressentir ce sentiment de confiance… À chaque fois qu’on mettait un pied sur le terrain, je savais que tout se passerait bien, parce que je savais qu’on avait Lauren, et que quoi qu’il arrive, on aurait une chance de l’emporter. Et le plus fou dans tout ça, c’est qu’on se complétait… On a découvert plus tard qu’on se complétait également en dehors des terrains, mais on se complétait vraiment sur le terrain, et je ne pense pas… Non, je suis sûre*, que je ne pourrai plus jamais dire ça au sujet d’aucune autre coéquipière.
Comme on le sait tous, Lauren dominait, intimidait sur les terrains. On a déjà parlé de son fameux regard… Laissez-moi préciser que personne (ni Jenny [Bouceck, coach], ni ses coéquipières, ni moi, la meneuse) n’était imunisé contre ce regard. On rigole souvent, Tanisha [Wright], Camille [Little] et moi, en disant que c’est une sorte de rite de passage : si Lauren ne vous a jamais crié dessus en vous disant de lui passer le « p***** de ballon », c’est que vous n’avez pas joué avec elle. Ça fait partie intégrante de l’expérience, tout le monde passe par là à un moment ou un autre.
Mais une chose est sûre, c’est qu’elle était toujours là pour nous défendre… Et que ce soit sur ou en dehors des terrains, je ne pense pas qu’il y ait quiconque dans ma vie qui, suite à la faute que j’ai subie tout à l’heure par exemple, serait allé toucher deux mots à la joueuse adverse en mon nom aussi vite que Lauren. Il suffisait qu’une adversaire me touche une seule fois au cours d’un match pour que Lauren me dise de suite : « Laisse là venir dans la raquette, elle va voir ce qu’elle va voir ». Et moi je me contentais de dire « D’accord. » Dooonc, si jamais vous vous êtes dit un jour que je défendais mal, c’était peut-être simplement parce que Lauren m’avait dit de laisser passer ma joueuse.
Mais comme vous avez pu l’entendre : loyale, attentionnée, généreuse… tous ces qualificatifs sont appropriés, il le sont réellement…. Quand vous la voyez sur un terrain, vous ne remarquez pas nécessairement tout ça… Mais moi je le sais. Et je pense que sa timidité, un autre trait de son caractère que peu de personnes connaissent, peut passer pour de la froideur… Mais elle est juste extrêmement timide, et c’est en fait quelque chose qui nous a rapprochées. On était un peu comme le yin et le yang, sur le terrain comme en dehors, mais on formait un très bon duo.
Je ne voudrais pas que ça donne des idées à qui que ce soit ici, mais l’année où les casques Beats sont sortis, Lauren a décidé d’en acheter un pour chaque membre de l’équipe… comme ça, sans raison… Elle s’est juste dit « oh, ce casque est super, et si j’en achetais onze de plus ? ». De même, souvent, quand on sortait diner avec l’équipe, une fois qu’on avait fini de manger, on discutait pendant quelques minutes, et d’un coup elle nous annonçait que la note avait déjà été réglée… D’ailleurs, ça s’est également produit hier soir… C’est comme ça qu’elle était… Tu voulais simplement que tout le monde se sente bien, tu étais toujours à inviter tout le monde chez toi… même si tu nous mettais ensuite dehors quarante-cinq minutes plus tard.
Parmi mes moments préférés passés ensemble, il y a tous ceux où on se retrouvait chez toi ou chez moi, avec une bouteille de vin blanc, ou même peut-être deux, du guacamole, et des chips… Et on se contentait de discuter… On disait sans doute du mal de notre coach, mais c’est comme ça qu’on se rapproche, désolée Jenny, les choses sont ainsi…
Mais oui comme je le disais… *s’arrête*. Attendez, je peux bouger un peu ? *sort de derrière le pupitre*. Parfait… Il faut que j’aie mes notes avec moi… Mais comme je le disais tout à l’heure, aussi douce et gentille que pouvait être Lauren, c’était aussi un rite de passage de se fare crier dessus par elle. Je me souviens d’un match en particulier… Sandy Brondello était dans l’équipe, donc c’était en 2003, et la Lauren douce et gentille est venue vers moi… Elle m’a dit : « Sue, Sandy a un peu de mal aujourd’hui… Ça fait plusieurs possessions qu’elle n’a pas pu prendre un tir, c’est notre shooteuse à trois points, faisons en sorte de lui passer le ballon sur les possessions à venir pour la mettre dans le bain. » Et moi j’ai répondu « vraiment ? Ça marche, c’est une super idée, allons-y ». On rentre donc sur le terrain, première action, balle pour Sandy : elle marque. Deuxième action, balle pour Sandy : elle marque. Troisième action, balle pour Sandy : elle marque. L’autre équipe demande un temps-mort. En revenant vers le banc, sans doute juste à cet endroit, je sens une petite tape sur mon épaule… Je me retourne, et je vois Lauren qui me dit : « Tu peux me passer la balle maintenant ?!!! ».
Dooooonc, aussi douce et gentille qu’elle était, il y avait toujours cette part redoutable de Lauren… ça, mais également, comme vous avez pu l’entendre dans les vidéos, dans le discours de Jenny en particulier, ou encore si vous êtes assis à côté de Lauren depuis le début de la cérémonie et que vous l’avez entendue répéter « ah, je ne me souviens pas de ça » toutes les cinq minutes, une certaine tendance à être tête-en-l’air de sa part. Donc, à chaque fois que Lauren me criait dessus en me demandant de lui « passer le p*tain de ballon », je lui répondais « souviens-toi du système dans ce cas », car elle oubliait touuuuuuuut le temps, nos systèmes, vraiment tout le temps. Donc si vous nous avez déjà vues nous disputer… C’était probablement à ce sujet.
Un des matchs préférés de Lauren, évidemment un des miens également : le deuxième match de la finale de conférence Ouest, à Phoenix. Après un retour sensationnel, on est encore menées de quelques points au score à quatre minutes de la fin… À deux minutes de la fin, Lauren coupe vers le panier, elle obtient le ballon, marque et provoque la faute. L’écart n’est plus que de trois point. On se réunit sous le cercle, et je dis « Lauren, quand tu auras mis ce lancer-franç, on ne sera plus qu’à deux points! ». Elle répond : « On sera à deux points?! ». Elle n’en avait AUCUNE idée! Je vous promets, allez voir les highlights, vous nous verrez toutes nous réunir en cercle, et vous verrez Lauren lever la tête pour voir le score… Elle n’en avait aucune idée. Aucune.
2012, match de playoffs face à Minnesota. Deuxième match de la série, sur ce terrain. Il reste peut-être cinq secondes, guère plus. Brian prépare un système. Je remonte la balle, je la passe à Lauren, juste là, comme vous l’avez vu dans les highlights. Lauren tire à trois points, et elle le met! On va en prolongations! On lui saute toutes dessus, il y a temps-mort, on est folles de joie, et elle nous dit : « Pourquoi vous me sautez dessus ? ». ELLE PENSAIT QU’ON AVAIT PERDU D’UN POINT. Pourquoi… est-ce… qu’on… te saute dessus ? Parce que c’était clairement un des tirs les plus marquants.
Très bien, il faut que j’aille regarder mes notes. Ah oui !
Ceci ayant été dit, plus sérieusement, chaque action importante dans l’histoire de la franchise a commencé, terminé, ou bien les deux, avec toi… que ce soit le tir en lui-même, l’écran, comme face à Atlanta où elle a presque retenu l’ensemble de l’équipe adverse pour que je puisse tirer… Chaque action importante. Et ce que tu as fait pour cette franchise, ça a donné le ton de ce que cela signifie aujourd’hui que d’être la meilleure… Ce que cela signifie que de gagner des matchs, des trophées, et de quelle manière cela doit se faire. Je sais que tu meurs de gêne à cet instant précis, mais tout ce que Dick [Fain, le speaker] a dit est vrai… Stewie : à quelle fréquence est-ce qu’on te compare à Lauren Jackson ? Tous les jours… Elena Delle Donne était sans cesse comparée à toi quand elle est entrée dans la ligue : tu as montré ce que c’était qu’être une joueuse de ce calibre… Et à moi tu m’as appris à être une vraie compétitrice, alors que je l’étais pourtant déjà…
J’ai pu partager un long chemin avec toi… et il est sûr qu’il y a des jours où… C’est la partie qui va être difficile… *retient ses larmes*, des jours où tu me manques, et où je me dis que j’aimerais que tu joues encore à mes côtés. Ça ne fait que quelques jours que Lauren est de retour à Seattle… Elle a passé du temps chez moi (sans vin, je vous le promets), et il y a quelques jours, je lui ai dit que me me sentais chanceuse, car mon corps est toujours en bonne santé… En tant qu’athlète professionnel, c’est parfois la tête qui vous fait défaut en premier *rires du public*… Non, vraiment, n’interpétez pas ça de la mauvaise façon, mais parfois, c’est l’aspect mental des choses qui peut vous pousser à arrêter. Et Lauren et moi, on parlait, et, vous savez… *larmes*, la manière dont les choses ont du s’arrêter m’attriste, et je sais que ca t’attriste aussi. Mais je veux que tu saches que tout ce que tu as fait ici, tout ce que tu as fait pour moi, tout ce que tu as fait pour tous ces gens, même si ça ne s’est pas fini comme tu le souhaitais… ça ne change rien à tout ce que tu as accompli, à toutes les vies que tu as changées.
Donc, merci, merci d’être toi, merci vraiment pour tout. Je pourrais rester ici à parler pendant des heures, mais je ne vais pas lui faire plus honte que je ne l’ai déjà fait… Donc : je t’aime, félicitations, et je suis sûre que tu vas assurer à la retraite… Je te rejoins bientôt.”