Investissement, croissance et sport féminin…

Depuis quelques heures, avec le début de la March Madness, une odeur de scandale flotte sur la NCAA qui a décidé que les athlètes féminines méritaient moins d’attentions que leurs pendants masculins. Certes, la WNBA génère moins d’argent que la NBA, c’est un fait ; de même le sport féminin, en général, génère moins d’argent que le sport masculin. Ce fait est régulièrement mis en avant pour justifier les différences de traitement entre athlètes hommes et athlètes femmes. L’argument, assez simpliste, est « business is business » ; comprenez bien mes p’tites dames, ce n’est pas que nous ne voulons pas investir mais pour ça, il faudrait que ça rapporte plus. Cet argument, a priori imparable, est en réalité un biais cognitif : explication.

Les dépenses d’investissement sont au cœur des mécaniques de croissance économique, tant les théories économiques de la croissance que les travaux empiriques le démontrent. Faisons référence à l’ami Walt Rostow qui explique que le décollage économique se caractérise par une forte augmentation du taux d’investissement (lors de la Révolution Industrielle, dans le cas des principales puissances occidentales, on parle d’un saut de 5% à 10%).  Le postulat de départ est assez simple : plus une entreprise investit plus elle est en mesure de générer de la croissance, et ce tout simplement parce que l’investissement rend plus efficace le travail humain. Ce postulat est, par ailleurs, applicable tant à un ménage qu’à une entreprise. Pour faire simple, plus vous mettez de pognon sur la table, plus vous avez de probabilités de générer encore plus de pognon. Dans notre cadre sportif, prenons, au hasard, la NCAA… Si je fournis aux athlètes féminines des salles pourries, des équipements d’entraînement infâmes couplés à une communication au rabais et une médiatisation de seconde zone, je limite les opportunités de développement de ce secteur ; a contrario, si je mets de la maille sur la branche masculine, j’exploite à son maximum le potentiel de croissance du secteur. L’assertion consistant à dire que c’est parce que le sport féminin offre moins de profits qu’il y a moins d’investissements est donc un contresens. C’est parce qu’il y a moins d’investissements que le sport féminin génère moins de profits.

Pour en revenir au poto Rostow, nous pouvons même en déduire que sans réels investissements, le décollage économique est, disons-le, compliqué. J’irais même plus loin : plus un projet économique est loin de sa maturité, plus il a besoin d’investissements. Par la suite, plus on se rapproche d’un niveau de maturité, plus l’effet de l’investissement se heurte à la loi des rendements décroissants : pour faire simple, plus un projet économique s’approche de son plein potentiel, moins l’investissement est efficace. Il arrive toujours un stade où seule l’innovation permet la croissance (et d’ailleurs, ça coûte du pognon avec une incertitude autour de l’investissement plus importante). Dans les faits, plus un business rapporte, moins il est intéressant d’investir, hormis dans la recherche et développement. Si on se repenche sur le cas de la NCAA, et qu’il s’agit, comme on nous le présente, d’une logique économique, alors les instances dirigeantes auraient tout intérêt à investir dans le sport féminin plutôt que dans le sport masculin : le potentiel de croissance y est a priori bien plus intéressant.

 L’autre erreur commise, est de considérer que la cible est forcément la même et, donc, d’estimer que la branche féminine n’est qu’un simple produit complémentaire permettant de faire de l’upselling sur un public fidélisé par les compétitions masculines. L’idée de fond est de penser qu’il est préférable d’investir dans la branche masculine car c’est elle qui fidélise le public, et, dès lors de considérer, que le sport féminin est un produit subsidiaire que l’on vendrait en plus. C’est, à mon sens, méconnaître le potentiel de développement du sport féminin et par là même renoncer à un potentiel économique ignoré par le sport masculin. D’une certaine façon, investir massivement sur le sport masculin aux dépens du sport féminin, c’est miser sur le mauvais cheval. Le sport féminin, parce qu’il n’a pas bénéficié des mêmes investissements, parce qu’il a été entravé pendant des décennies (Titre IX), n’a pas pu développer sa cible. Pourtant, cette cible existe : de nombreux consommateurs de sport féminin ne consomment pas ou peu de sport masculin alors que l’offre de sport féminin est bien plus réduite et bien moins accessible. On retrouve, en partie ici, la problématique des pays dits « en voie de développement », qui, parce qu’ils ont été écartés du jeu économique, ont besoin à la fois de bien plus d’investissements et d’une bien meilleure stratégie pour espérer lancer leur croissance. Ainsi, il nous faut constater que si le but des instances sportives est de générer du profit et de donner au sport féminin l’opportunité d’atteindre son plein potentiel, il est alors nécessaire que la majeure partie des investissements soit réalisée sur cette branche. L’importance de l’investissement offre aussi une souplesse importante : le droit à l’erreur. Pour résumer, si j’ai les moyens d’investir dans dix actions différentes, je peux me permettre d’échouer sur certaines et d’apprendre de mes erreurs, et par suite d’améliorer ma stratégie. De toute évidence le sport féminin est privé de ce droit à l’erreur contrairement au masculin (doit-on rappeler toutes les ligues disparues ou encore les années où la NBA était loin d’être la machine à billets verts qu’elle est aujourd’hui ?). On impose au sport féminin des exigences de rentabilité au-delà de celles imposées au sport masculin lors de son lancement alors que, paradoxalement, les instances, comme la NCAA ont une bien meilleure assise économique aujourd’hui.

Finalement, je doute que la raison de la différence de traitement entre les hommes et les femmes repose sur une logique économique rationnelle. Elle prend, il me semble, sa source dans un certain nombre de préjugés : ce n’est pas parce que le soleil disparaît à l’horizon chaque soir que cela signifie qu’il tourne autour de la Terre. Bien entendu, ce billet n’est pas une étude scientifique et il s’agit d’une simplification de phénomènes économiques complexes. Il est évident que de nombreux autres déterminants doivent être pris en compte dans le développement d’un projet économique. Toutefois, il a pour ambition de s’interroger sur le fondement de l’explication économique avancée pour justifier le maintien de discriminations dans le sport. De plus, puisque nous pouvons constater que ce principe s’applique au sport universitaire, une question me taraude : le sport universitaire a-t-il vocation à être un projet économique ? Il me semblait que les universités avaient pour mission de former des étudiants à chances égales.

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