A’ja Wilson s’est récemment épanchée dans une très belle lettre sur The Player’s Tribune. Nous vous l’avons traduite.
Source : The Player’s Tribune
« Chère femme noire,
J’ai besoin que tu m’écoutes une minute. J’ai besoin que tu comprennes ceci.
Si tu es ici pour la A’ja souriante ou la A’ja parfaite, ferme cette fenêtre. Je préfère prévenir tout le monde dès le début.
Vous savez quoi ? Je vous offre même une porte de sortie facile : Faites vous plaisir avec ces adorables chiots et puis reprenez vos affaires là où vous les aviez laissées.
Mais pour tous ceux qui veulent la vraie A’ja aujourd’hui, je vais être honnête avec vous une minute.
Ces quelques derniers mois ont été un enfer.
Et je sais que ça doit sembler bizarre, de l’extérieur. Je veux dire, quelle raison je pourrais avoir de me sentir mal, vraiment ? J’ai atteint mes premières Finales WNBA. J’ai eu le trophée de MVP. Ils m’ont même fait une statue sur le campus de l’Université de South Carolina.
Une statue.
En bronze. Sur ce campus. Pour toujours. Ce même campus sur lequel ma grand-mère ne pouvait même pas mettre un pied durant la ségrégation. Elle devait le contourner quand elle faisait ses courses en ville.
Je veux dire, j’ai 24 ans et j’ai une statue sur ce campus. Ce n’est pas perdu pour moi, du tout.
Mais je dois être honnête avec vous. Cela a été quelques mois difficiles avant cela. De l’extérieur, cela donnait l’impression que j’étais sur le toit du monde. Mais à l’intérieur, je n’étais pas bien.
Tout a commencé après que nous ayons perdu les Finales et que je m’aventure en dehors de la bulle WNBA pour la première fois en 3 mois. A l’intérieur de la Wubble, j’avais le basket sur lequel me concentrer. Essayer d’aller chercher ce titre, essayer de prouver aux sceptiques qu’ils avaient tort à propos du potentiel de cette équipe… C’était très prenant. C’était comme être enfermé dans une réalité parallèle. Et ce qui rendait le tout si surréaliste, c’était qu’il y avait tant de trauma et d’émotions se déroulant dans le monde extérieur cet été et nous, nous étions littéralement dans cette bulle de soleil, de chambres d’hôtel et de basket. Je me suis rendu sourde à tout ce qui se passait. Je suppose que c’était ma manière de compartimenter le basket par rapport à l’angoisse des nouvelles que je voyais apparaître sur mon téléphone. C’est comme si je ne ressentais pas complètement la douleur de tout ça.
J’étais juste… vide.
Ensuite, quand je suis finalement sortie de cette bulle et que j’ai été de retour dans le monde réel, c’est comme si quelque chose s’était cassé.
La décompression a fait place à la dépression.
J’étais tellement en colère contre moi-même. J’avais l’impression d’avoir laissé tomber mon équipe durant les Finales. Il y a eu pas mal de jours où je n’arrivais pas à sortir du lit. C’était comme si, vraiment, je ne pouvais pas contrôler mes mouvements. J’étais en dehors de mon propre corps, en train de flotter dans ma tête.

Tu n’en as pas fait assez. Tu as laissé tomber tout le monde. Tu n’en as pas fait assez. Tu n’en as pas fait assez. Tu n’en as pas fait assez.
Vous savez comment tout cela va, n’est-ce pas ?
Cette anxiété monte en vous.
Mais je n’en ai parlé à personne. J’ai tenu ça caché de ma famille, même de mes parents, parce que je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent pour moi. En tant que femme noire, combien d’entre nous met ce masque tous les matins ? Il faut être parfaite ! Il faut sourire ! Il faut être forte !
En tant que femme noire, ça ressemble à de la … faiblesse ?
Faiblesse ?
On n’a pas le temps pour ça !
J’en ai été témoin avec ma propre mère quand j’étais enfant. Elle pouvait avoir eu la pire des journées au travail, mais quand elle rentrait à la maison le soir, elle souriait tout le temps. Vous ne la voyiez jamais montrer une faiblesse.
Combien d’entre nous se retrouve plongé dans ce schéma ? Je veux dire, j’ai cette vision de moi à laquelle j’ai l’impression d’être obligée de coller – pas en tant que joueuse de basket, mais en tant que femme noire aux Etats-Unis. En tant qu’A’ja, j’ai l’impression qu’il faut que je gère chaque situation avec grâce, aplomb et positivisme. Je ne peux pas laisser voir que je perds pied, n’est-ce pas ?
Vous savez qu’A’ja va gérer ses affaires.
Ne vous inquiétez pas pour A’ja.
Tout va bien pour A’ja.
(Pendant ce temps là, quand les caméras sont parties, je suis dans mon lit et je pleure.)
Pour moi, la coupe a débordé pendant que j’étais en vacances avec ma famille il y a quelques mois. Nous devions nous amuser et nous relaxer après une année incroyable mais mon anxiété était juste au plus haut. Je ne pouvais pas m’empêcher de m’énerver. J’ai commencé à partir en vrille. C’est dur à expliquer mais mon corps était comme engourdi. Et puis tout d’un coup, c’est comme si mon monde était devenu vraiment tout petit.
J’avais du mal à respirer.
Tout était flou.
Je n’entendais rien.
Le pire dans une attaque de panique, c’est que la première fois que ça vous arrive, vous ne comprenez pas ce qui vous arrive – ce qui rend le tout encore plus effrayant. Vous creusez votre trou de plus en plus profondément parce que vous ne pouvez comprendre ce qu’il vous arrive.
La seule chose que je pouvais entendre était la voix de ma mère. C’était comme une petite boule chaleur dans les ténèbres, vers laquelle j’étais attirée.
Ma mère n’arrêtait pas de me dire : « J’ai juste besoin que tu reviennes, OK ? »
C’était comme si je m’éparpillais quelque part dans l’espace lointain et sa voix me ramenait sur terre.
“Ça va aller. Il faut juste que tu reviennes. Il faut juste que tu reviennes.”
Je veux dire, j’aime mon père de tout mon coeur mais il y a quelque chose dans la voix de votre mère. C’était mon ancre.
La chaleur de sa voix m’a ramenée et j’ai pu me calmer.
Après cette journée, je ne pouvais plus prétendre que tout allait bien. De toute évidence, il ne s’agissait pas juste du basket. Il ne s’agissait pas juste des Finales. J’ai commencé à réaliser que j’avais enfoui cette douleur depuis longtemps. Et je pense qu’une grosse part de tout ça venait du fait que je n’avais pas complètement fait le deuil de ma grand-mère il y a quelques années. Les quelques dernières années de ma vie ont été très mouvementées : aller à South Carolina, gagner le championnat national, être draftée dans la W, la saison de la bulle. Quand vous êtes pris dans des montagnes russes, ça peut être dur d’encaisser la vie réelle. Et encore plus une vraie perte.
Je ne peux pas vraiment résumer ce que ma grand-mère représentait pour moi. C’est impossible. Cela semble un souvenir tellement banal mais je me rappellerai toujours être à un enterrement pour un ami de la famille alors que ma grand-mère avait probablement 80 ans. C’était une cérémonie assez longue et, alors que nous étions tous debout, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer une jeune fille qui avait vraiment du mal. Elle n’arrêtait pas de bouger d’avant en arrière. Ses chaussures lui torturaient les pieds. Vous savez ce que ça fait.
Pourtant, quelques minutes plus tard, j’ai regardé et vu ma grand-mère debout avec une paire des chaussures les plus inconfortables que vous puissiez voir. Je ne sais meme pas d’où ces choses venaient. Genre la Suisse du 19e siècle.
Et je lui ai dit : « Grand-mère, qu’est-ce que tu fais ? »
Et elle m’a répondu : « Et bien, cette fille avait besoin de nouvelles chaussures. Alors, on a échangé. »
C’était tellement à propos. Et j’ai des frissons rien qu’à y repenser parce que… Je ne sais pas comment vous le faire comprendre à part dire que la principale mission de ma grand-mère dans la vie était : « Comment puis-je aider ? »
Je veux dire, on parle d’une femme qui a grandi dans le Sud durant la ségrégation. Elle était mère célibataire de quatre enfants. Deux boulots. Elle ne pouvait pas traverser le campus de South Carolina pour aller à l’épicerie. Elle devait le contourner. Et malgré tout cela, son but principal était d’aider.
Attention, ce n’était pas une tendre !! Soyons clairs. Elle savait être dure, souvent. Elle n’avait pas le choix. Mais le principal était toujours « Tu vas bien, ma chérie ? Tu veux qu’on échange ? Ne t’inquiète pas, je vais bien, prends le mien. Non, non, non, prends le mien. »
Elle était comme une leçon vivante. Pour moi. Pour notre famille. Pour notre communauté.
Perdre une femme comme cela dans ma vie… que puis-je dire ? Je n’arrivais pas à l’encaisser. J’ai enterré ma douleur pendant des années. Et puis cet automne, quand la bulle a finalement éclaté et que j’ai cru que j’avais échoué, et ce monde qui semblait devenir fou autour de nous, toutes ces émotions ont refait surface.
Oui j’ai souffert de dépression.
Après une saison de MVP.
Oui, j’ai eu des crises de panique.
Après une saison de MVP.
Ce n’est pas de la faiblesse. Ce n’est pas une histoire larmoyante. C’est vrai.

A la fin, j’avais besoin d’aller au bout de tout cela. Je devais mettre un terme à ces émotions compliquées que j’avais enfouies depuis si longtemps afin que je puisse grandir en tant que personne. Et j’ai pu faire cela grâce à mon psychiatre, le Dr Casey.
J’ai du accepter – non, non, non, j’ai du pleinement accueillir – le fait que la vraie A’ja que je suis certains jours n’est pas la même A’ja que les commentateurs voient ou que mes coéquipières voient ou même que mes meilleurs amis voient.
Et c’est OK.
Mes émotions sont mes émotions. Ma douleur est ma douleur. Mon histoire est mon histoire.
Ecoutez, j’adore Kobe. J’avais l’habitude de me motiver en regardant ses interviews sur YouTube – à m’en rendre folle. Du genre » tu as intérêt à te lever à 5h demain et être à cette salle avant tout le monde. MAMBA MENTALITY !! ILS DORMENT, TU PROGRESSES !!
Mais vous savez quoi ? Certains matins, je n’ai pas envie d’être cette personne. Certains matins, je veux m’asseoir dans mon lit et peut-être pleurer un peu, et ressentir toutes les émotions. Ce n’est pas de la faiblesse. C’est de l’honnêteté.
A la fin de la journée, il y a plusieurs chemins pour la grandeur. Et je pense que l’on n’entend pas assez ce message, spécialement chez les femmes noires.
Vous pouvez être vulnerable et quand même être MVP.
Vous pouvez être vulnerable et quand même être le CEO.
Vous pouvez être vulnerable et quand même être à la Maison Blanche.
Vous n’êtes pas obligée de mettre ce masque tous les matins.
Et écoutez, je comprends si vous choisissez de mettre ce masque certains jours. En tant que femme noire, il y a tellement de pression sur nous d’être tout pour tout le monde. On attend de nous qu’on porte tellement de chapeaux, et qu’on jongle avec tellement de rôles – et de le faire avec le sourire (parce que vous savez ce qu’on va dire de vous sinon, n’est-ce pas ?)
Je le comprends.
C’est comme si nous devions penser tellement à propos de tout le monde que nous nous oublions nous-même. .
Et bien, laissez-moi juste le dire bien fort, pour tout celles dans le fond qui ont besoin de l’entendre…
Tu es assez.
Non, non, non,… plus qu’assez.
En réalité, le meilleur est à venir.
Ce sont les mots exacts que ma grand-mère avait l’habitude de me dire quand j’étais une petit fille. Si simples, si puissants.
Le meilleur est à venir.
Je pensais à ces mots quand ils dévoilaient ma statue le mois dernier, et ils prirent un sens bien plus important. Après ces quelques mois difficiles, voir cette statue a été un tournant pour moi. C’était un petit rayon de soleil. Mais peut-être pas de la manière que vous pensez.
Pour être honnête, je suis presque gênée que ce soit moi, là. Je suis si, si honorée, ne me comprenez pas mal. Mais c’est juste beaucoup et une part de moi ne pense pas le mériter. J’étais tellement nerveuse au moment de faire mon discours – un peu submergée par l’instant. Mais ensuite, j’ai juste essayé de penser à ce que ma grand-mère aurait dit si elle avait été là. Et puis tout s’est mis en place.
Cette statue… ce n’est pas à propos de moi. me.
C’est à propos de nous.
C’est à propos de toutes ces petites filles qui vont traverser ce campus dans les 10, 50, 100 prochaines années. Après quelque stemps, il est probable qu’elles ne se rappelleront même pas du nom A’ja Wilson. Mais elle se souviendront du sentiment de voir une jeune femme noire immortalisée pour le sang, la sueur et les larmes qu’elle aura donné pour son école, ses fans, sa communauté. Et c’est une image tellement importante à voir pour ces filles – en particulier dans le Sud.
J’espère que nous ferons un bon boulot en apprenant à ces jeunes filles leur histoire. Dans 100 ans, qui sait ce qu’elle penseront de l’époque que nous vivons actuellement ? Qui sait ce dont elles se souviendront ?
Mais la vérité, c’est que…
Cette jeune femme noir immortalisée en bronze, en 2021 ?
Sa propre grand-mère n’était pas autorisée à mettre un pied sur ce même campus quand elle avait son âge.
Son propre père n’était pas autorisé à jouer au basket pour cette même université quand il avait son âge.
Et elle-même se rendait au collège en empruntant des rues portant le nom d’esclavagistes, devant des maisons arborant fièrement le drapeau confédéré.
Quand j’ai vu ma statue, voici le flot de pensées qui m’a traversée. Voici les souvenirs qui me sont revenus. Pas mes matchs, pas mes paniers, pas ma carrière. Non, non, non. Mon histoire.
J’ai pleuré des larmes de joie, pour la première fois depuis longtemps. C’était comme une voix qui venait du paradis. Je pouvais entendre ma grand-mère me dire : « Ma chérie, arrête de pleurer. A propos de quoi tu pleures de toute façon ? Tu sais que le meilleur reste à venir, n’est-ce pas ? ».
C’était comme prendre une longue respiration. Et puis le poids s’est enlevé.
Et voici mon histoire. Voici ma vérité.
Ça fait du bien juste de le dire.
Purée, ça fait du bien !!
Et avant que je ne vous quitte – mon seul conseil pour vous, si vous vous sentez comme je me sentais ? Lâchez tout. Tombez le masque une minute et parlez à quelqu’un. Un thérapeute, un ami, un membre de la famille, quelqu’un.
Retirez le poids de vos épaules. Reposez-vous sur quelqu’un d’autre pour une minute.
On est là.
Hey, on est là.
Dans les mots d’une légende : « Echangeons. Non, non, non, chérie. Tu prends le mien. »
Sincèrement,
A’ja »