Liz Cambage à coeur ouvert

Absente pendant 2 matchs après le All Star Game, Liz Cambage a publié dimanche 12 août une tribune où elle se livre et parle des maux qui la rongent depuis de très nombreuses années.

Shaï Mamou, journaliste à Reverse Magazine, a traduit pour Swish Swish ce texte ô combien important.


Vous tous, aux Etats-Unis, vous avez déjà entendu parler de ce qu’est un ‘rip’* ? Je crois que le mot complet c’est ‘riptide’. Tu es en train de passer une journée ensoleillée à la plage. Pas de problème. Tu prends du plaisir, tu nages avec tes amis.  Et l’instant d’après, tu ne le réalises même pas, mais le courant t’a attirée dans l’océan. L’eau est de plus en plus profonde. Tous tes amis ont disparu. Le soleil est nettement moins présent. Tu ne peux pas bouger… et tu ne peux pas respirer. Jusqu’à ce que soudainement, il n’y ait plus que toi, toute seule, sous ces gigantesques vagues sombres. Et tu te noies. C’est ça, un ‘rip’. C’est aussi ce qui se rapproche le plus de ce que je ressens lorsque je suis en dépression.

 Je me bats contre des problèmes mentaux – d’abord l’angoisse, puis la dépression parfois déclenchée par l’angoisse – depuis près de la moitié de mon existence. Je ne pense pas que ce soit un scoop. J’ai toujours été aussi honnête que possible à ce sujet, en privé comme en public. A tel point que je pense avoir développé cette espèce de… personnage autour de ça. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est un peu comme si, d’une certaine manière, ma vie était une conversation de santé mentale. 

Parfois, j’ai l’impression que nous ne sommes pas aussi avancés dans cette conversation que nous le pensons. Nous sommes de plus en plus à l’aise avec l’idée que la santé mentale est importante et dire aux gens que tu souffres de problèmes de santé mentale est devenu relativement acceptable.  Mais au-delà de ça ? Je pense qu’il y a toujours beaucoup de choses que nous ne voyons pas et dont on ne parle pas. Ces choses-là peuvent être moches.

Je sais qu’en surface les gens sont “prêts” à parler de la santé mentale. Mais le sont-ils vraiment ? Sont-ils vraiment prêts à parler de la façon dont, à partir de l’âge de 15 ans, je buvais parfois au point de ne plus me souvenir de rien ? Ou du fait que je me suis déjà réveillé avec une intraveineuse au bras après un week-end de fête, sans être capable de me rappeler de la moindre chose ? Ou que j’avais 18 ans la première fois que j’ai essayé de rester sobre ?

Les gens sont-ils prêts à parler du fait qu’après avoir été draftée en WNBA, j’ai passé presque toutes mes nuits seules à pleurer lors de ma saison rookie ? Ou de toutes les fois où je me suis simplement enfermée chez moi en ignorant tout le monde pour pleurer pendant des heures ? (c’est ce que j’appelle mon mode “crise existentielle”, quand l’angoisse se transforme en dépression et que je deviens ce tas affalé, persuadée que je ne vaux rien et ne sers à rien). 

Les gens sont-ils prêts à parler du jour où on m’a mis sous surveillance pour éviter un suicide ? Du moment où j’ai appelé ma mère – ce qui reste la conversation la plus dure de ma vie – pour lui dire que je n’avais plus envie de vivre ? Ou du fait que même aujourd’hui, alors que je me “sens mieux”, je ressens toujours de la honte et de la culpabilité pour avoir fait traverser quelque chose d’aussi terrifiant à ceux que j’aime ?

Jusqu’à ce que nous soyons prêts à nous ouvrir pleinement sur ces expériences-là, sur le fait que les problèmes de santé mentale peuvent être sombres et même impliquer de perdre ce combat, je ne crois pas que nous soyons prêts à passer l’étape suivante dans cette conversation.

Si cela peut aider, je vais essayer de commencer. Voici des situations dont on ne parle généralement pas et qui ont fait que ma carrière dans le basket et ma dépression se sont entremêlées.

Ma santé mentale a joué un rôle dans le choix de l’endroit où je joue cette année.  Je n’ai finalement pas réussi à faire en sorte que cela fonctionne à Tulsa ou à Dallas, au milieu de ce pays étranger, sans mon système d’aide. Je me souviens de ce jour où je suis partie de Melbourne pour aller à Tulsa pour la saison 2012. Quand nous sommes sortis de l’avion pour l’escale à Sydney, je ne sais pas trop comment l’expliquer mais… je n’ai simplement pas pu retourner dans l’avion. Je ne pouvais pas retourner là-bas.

Je venais de disputer les Jeux Olympiques avec l’Australie. Nous avions gagné la médaille de bronze, mais selon nos standards, nous avions échoué. J’avais échoué. J’avais déçu mon pays et tous ceux qui comptaient sur moi. Je n’avais que 20 ans. Devoir emmener ça avec moi en WNBA pour une nouvelle saison alors que j’étais malheureuse et ne me sentais pas soutenue… Et ces sensations d’angoisse de ma première saison qui revenaient tout d’un coup… J’ai paniqué. Littéralement. J’ai fait une crise de panique dans l’avion.

Finalement, je suis retournée en WNBA pour jouer à Dallas. Je l’ai fait pour mon coach Fred Williams. Mais une fois que Fred s’est fait virer, je savais que mon soutien là-bas n’existait plus et que la seule chose qui me permettrait de rester dans la ligue était de vivre près de ma famille, sur la côte Ouest. 

Je prends des médicaments pour ma santé mentale. Je suis l’une des millions de personnes dans le monde sous traitement pour aider à soigner leur dépression et leurs angoisses. Je prends ces médicaments depuis des années. Ils empêchent mes doutes à mon propre sujet d’être hors de contrôle. Ils me permettent de me sentir stable quand mon humeur est en train de décoller ou au contraire de chuter brusquement. Ils m’aident aussi à dormir. Mes médicaments m’aident vraiment à être la version la plus saine et libre de moi-même. 

Ma santé mentale a eu un impact négatif sur ma capacité à faire mon boulot. D’abord samedi, contre les Wings. Puis à nouveau lundi, contre les Mystics. J’ai été mise en “DNP-repos”. Il y aurait dû avoir marqué DNP-santé mentale.

Il y a deux semaines, c’était le All-Star Weekend à Las Vegas. Ils appellent ça un break, mais pour les joueuses qui participent, ça n’en est pas un. En tant que joueuse de l’équipe locale, il y a même une pression supplémentaire. J’avais voyagé avec l’équipe d’Australie juste avant le week-end et sortais d’un calendrier chargé d’obligations d’apparaître à des événements avec ma sélection nationale. En plus de ça, des amis proches étaient venus d’Australie pour me voir. Cela faisait beaucoup. A vrai dire, beaucoup de choses s’étaient déjà produites en dehors du terrain cette année. Ma grand-mère fait des allers-retours à l’hôpital depuis plusieurs mois. La voir lutter pour sa santé d’aussi loin, avoir l’impression de ne pas avoir été là pour elle quand elle avait le plus besoin de moi, ça fait mal. Juste avant le All-Star Weekend, ma relation de longue date avec mon petit ami s’est achevée. J’ai le sentiment d’avoir entamé ce All-Star “break” en étant déjà cassée.

Pour quelqu’un qui voyage autant que moi, qui doit gagner sa vie loin de chez elle pendant 8 mois, les relations sont incroyablement importantes. Mais en même temps, elles sont incroyablement difficiles à entretenir.  Et pourtant… C’est drôle ces mensonges que l’on est capable de se raconter à nous-mêmes. Le mien ? Que même avec toutes ces responsabilités, toutes ces pensées et pressions dans ma tête, je me sois dit que j’étais en état de gérer ce All-Star Weekend. Après tout, j’étais sobre depuis des mois. Je pensais que tout irait bien. Je me suis trompée. 

Le week-end a dérivé vers des fêtes. Les fêtes ont dérivé vers l’alcool. L’alcool a dérivé vers l’épuisement. Même là, j’aurais pu aller bien. Sauf que je n’avais pas pris mes médicaments. Pourquoi ? Même si mes médicaments me permettent d’être d’humeur assez stable, ils ont un effet abrutissant. Je me réveille groggy le matin. Je bouge un peu plus lentement. Je ne rêve pas la nuit, ce qui est un gros problème pour moi. Rêver est le moyen pour moi d’être en contact avec moi-même. C’est ma connexion avec Dieu. Quand je passe trop de temps sans rêver, ça me manque. Un peu plus tôt cette année, après que tout se soit bien passé pendant un temps, j’ai cessé de prendre mes médicaments. Je voulais simplement ressentir un peu plus les choses. Ce week-end là, j’ai trop ressenti. 

Pour notre premier match après le break, j’ai été catastrophique à domicile. J’ai shooté à 1/12 et à chaque fois que je ratais un tir, je me souviens d’avoir ressenti le besoin de me réprimander. ‘Tu as peur de prendre un tir ?! Encore une mauvaise décision, Liz !’ Des choses comme ça. Je remettais tout en question. Je me disais que je gâchais chaque action. Notre match suivant était à Los Angeles et tout a empiré à partir de là. J’ai pris deux fautes en 90 secondes. C’est drôle parce que lorsque ça arrive, le public croit toujours m’atteindre. Mais moi je suis là en train de me dire : ‘Euh, désolée, il n’y a pas de place supplémentaire pour quiconque veut me dire des choses horribles. C’est plein à craquer de choses que je me dis moi-même’. 

Après ce match, j’ai eu l’impression que mon cerveau était en chute libre. Pour être honnête, à partir de là, j’ai perdu le contrôle. J’ai trouvé un couloir vide hors du vestiaire. J’étais toujours en tenue de match et j’ai commencé à paniquer. Je ne pouvais plus respirer. Je n’arrivais pas à m’arrêter de pleurer. J’ai eu la plus incontrôlable des crises d’angoisse. Un effondrement complet. J’ai dû appeler à l’aide. 

Mon agent est venu me chercher et m’a emmenée jusqu’à l’hôtel de l’équipe pour que je puisse prendre mes médicaments contre l’angoisse. J’essaye toujours d’éviter ça à moins qu’il ne s’agisse d’une urgence, parce que mon corps et mon esprit sont dans le brouillard pendant les 14 heures qui suivent. Mais mieux vaut vivre dans le brouillard que de se laisser emporter par le courant. C’est comme ça que ça se passe. C’est le cycle. Finalement, soit tu le brises, soit il te brise. Cette nuit-là a débouché sur des conversations compliquées avec des gens qui tiennent à moi, mais aussi sur des conversations avec moi -même qui auraient dû avoir lieu il y a longtemps. J’ai finalement pris deux décisions : il fallait que je reprenne mes médicaments, et il fallait que je m’arrête pendant un temps.

Voilà où j’en étais. Loin de l’équipe et loin du basket, pour me permettre de me remettre d’aplomb. Recommencer la prise de médicaments signifie en gros être clouée au lit 18 heures par jour. C’est se sentir lourde et fatiguée. C’est s’habituer à un nouveau quotidien qui requiert du repos. Beaucoup de repos. C’est soigner une blessure comme n’importe quelle autre.

C’est pour cela que j’ai voulu écrire ce texte. C’était vraiment important pour moi de ne pas simplement calmer le jeu. Je ne voulais pas en dire juste assez pour que les gens arrêtent de poser des questions. Je ne voulais pas simplement crier ‘Hashtag Santé Mentale !’ et qu’on s’en tienne à ça. Je voulais vous dire la pleine vérité de ce qui se passe pour moi. Parce que ce qui se passe n’est pas un secret ou un mystère. Ce n’est pas un énorme scandale. C’est juste… ma vie.

J’ai beaucoup pensé à la nouvelle règle en vigueur en NBA qui stipule que chaque équipe doit avoir un professionnel de la santé mentale dans son staff. Beaucoup de gens ont applaudi la ligue pour cette règle et pour être aussi entreprenante sur la question. Je fais partie de ces gens. Je pense que c’est une excellente chose et que cela va aider les joueurs. Ils méritent ces félicitations. Mais en même temps, je ne peux pas mentir. Je trouve décevant que l’on acclame ce progrès alors que tant de femmes en sont exclues. La WNBA ne mérite-t-elle pas le même programme ? Et même au-delà de la WNBA ou même du sport, la santé mentale n’est-elle pas essentielle ? N’est-ce pas une de ces choses pour lesquelles on devrait décider que chaque personne qui en a besoin peut y avoir accès et trouver le moyen de l’appliquer ? Chaque école, chaque environnement professionnel, chaque programme sportif… Tout le monde devrait avoir accès à un professionnel de la santé mentale. On parle d’un docteur ! C’est littéralement un médecin pour votre cerveau. C’est juste traiter quelqu’un comme un être humain.

Cela résume ce que je voulais dire ici, il me semble. Je voulais que tout le monde sache que ma santé mentale avait été prise dans un ‘rip’ la semaine dernière et que ça n’avait pas été joli. Ça a même été assez moche. Je voulais aussi que tout le monde sache que je ne me suis pas noyée. Je suis toujours là et je me bats toujours au quotidien. Avec l’aide de ma famille, de mes amis, des médecins, de mes incroyables coéquipières,  de mes coaches et du système d’aide que j’ai chez les Aces, je vais continuer de me battre. Je vais continuer d’en parler, avec autant de franchise que je sais le faire.  

Nous n’en sommes sans doute pas encore au point – et on ne le sera sans doute pas bientôt – où le boxscore officiel indiquera quelque chose comme ‘DNP-santé mentale’. Mais en attendant, voici l’actualisation, pour vous, de la blessure de Liz Cambage : elle gérait son angoisse et sa dépression au jour le jour et elle continue de le faire. A vrai dire, elle le fera sans doute toujours. Et vous savez quoi ? Ce n’est pas grave.

*en français, ‘rip’ ou ‘riptide’ se traduit par contre-courant

© Lorie Shaull
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