Billet d’humeur écrit par Emma Gautier
Un tournant dans l’Histoire de la WNBA, peut-être. Un tournant dans les négociations du CBA qui n’ont pas encore abouti, sûrement. Un tournant dans la prise de pouvoir des joueuses et de l’avenir de Cathy Engelbert à la tête de la WNBA, c’est certain.
Voilà ce que cette prise de parole hier soir de Napheesa Collier a, et aura, comme effet sur cette ligue qu’on aime tant. Et si vous me lisez aujourd’hui, c’est que vous l’aimez aussi.
Je ne parlerai pas des propos sur l’arbitrage, qui ne sont pas le fond du problème exposé par Phee hier dans sa conférence de presse de fin de saison. Cela va au-delà des plaintes que les coachs et joueuses expriment avant et après les matchs sur le manque de professionnalisme des arbitres. Des propos, qui par ailleurs, m’exaspèrent à chaque fois. Le résultat d’un match ne se résume pas seulement à l’arbitrage.
Parlons plutôt des propos de Phee sur la mauvaise gestion du leadership au sein de la WNBA ces derniers mois et du manque d’humanité de ce dernier.
Avant toute chose, il faut remettre un peu de contexte sur l’histoire récente de la ligue. Il ne s’agit pas de tirer à boulets rouges sur Cathy Engelbert. Quand elle est arrivée à la tête de la ligue en 2019, il y avait un nouveau CBA à négocier où de grandes avancées pour les joueuses ont vu le jour. Elle a poussé les propriétaires de certaines franchises à faire jouer les matchs dans des salles plus décentes, tout comme accentuer la promotion et la communication autour de la ligue. Sans parler de la gestion de la crise du COVID, qui a été parfaite grâce à la mise en place de la Wubble. Cathy a fait un énorme travail depuis 6 ans, il ne faut en aucun cas l’oublier.
Mais il est vrai, et je pense que les suiveurs de la ligue comme moi s’en rendent compte, que depuis quelques mois il existe un décalage entre le discours porté par les joueuses et celui de Cathy. Et par la WNBA dans son ensemble, y compris Adam Silver le boss de la NBA. Évidemment, il y a le jeu des négociations du CBA qui rentre en compte. Les joueuses défendent leur point de vue, et la ligue fait pareil de son côté. Et à la limite, c’est normal. Chacun essaie de défendre ses intérêts. Le premier point d’orgue de ce constat a d’ailleurs eu lieu pendant le All Star Game cet été où les joueuses n’ont pas hésité à afficher leur conviction avec les tee-shirts « Pay us what you owe us ».
Mais le discours de Phee implique en substance qu’au-delà des différences d’opinions sur certains sujets, notamment sur les futurs salaires et le pourcentage des revenus de la ligue reversé aux joueuses, Cathy ne semble pas entretenir un lien avec ces dernières durant la saison. C’est le manque d’humanité dans les échanges qui semblent avoir marqué Phee, jusqu’à un point de rupture. Il est vrai qu’avec une ligue qui comporte, pour l’instant, à peine 150 joueuses, la WNBA pourrait les consulter un peu plus sur certaines décisions à travers le syndicat des joueuses. Les déclarations de Cathy rapportées par Phee, qui semblent diminuer le rôle et l’implication des joueuses dans l’explosion du développement de la ligue, n’arrangent pas les choses. La WNBA n’existe pas sans les joueuses. Encore moins les joueuses superstars, qui pour certaines, dépassent même le cadre du basket en termes de popularité. Je pense à Angel Reese, Cameron Brink, Paige Bueckers, Caitlin Clark sans oublier Sabrina Ionescu ou A’ja Wilson.
Ces joueuses ont désormais leur propre plateforme pour s’exprimer, et ont une voix qui compte. Il serait temps que la ligue le comprenne.
Phee est d’ailleurs une merveilleuse représentante de ce leadership incarnée par les joueuses. Comme le dit Cheryl Reeve, sa coach, la voix de Phee compte, et quand Phee parle, on l’écoute. Elle est évidemment impliquée dans les négociations du CBA puisqu’elle est vice-présidente du syndicat des joueuses. La création de la ligue Unrivaled, dont elle est à l’origine, lui permet d’avoir une légitimité pour commenter la manière dont est gérée la WNBA. Et les autres joueuses de la ligue le savent très bien.
C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus marqué quand j’ai commencé à suivre la WNBA, au-delà du niveau de jeu proposé sur le terrain : la sororité entre les joueuses. Elles n’hésitent pas à faire front commun pour des causes qui leur sont chères. Je pense notamment au mouvement sur la justice sociale pendant la saison 2020 dans la bulle. Et aujourd’hui avec les négociations du CBA. Phee a reçu de nombreux messages de soutien de la part des joueuses après ses déclarations. Je pense que cela veut tout dire.
Il est difficile de ne pas s’attacher aux joueuses qui font cette ligue. Et encore moins à leurs combats. Je ne sais pas si elles obtiendront ce qu’elles revendiquent, mais une chose est sure, elles ne lâcheront pas.
Les joueuses de basket aux USA ont une tribune que d’autres athlètes féminines n’ont pas. Le discours de Phee résonnera-t-il ailleurs, dans d’autres ligues ? En tout cas j’ai l’impression qu’elle a touché des sujets qui dépassent le cadre du basket.
Merci pour ça, Napheesa.