Quand Sue Bird et Diana Taurasi se faisaient recruter par un ancien espion du KGB…

Diana Taurasi et Sue Bird ont toutes les deux fait leur carrière universitaire à UConn, la prestigieuse Université du Connecticut. Au sein du programme de Geno Auriemma, les deux futures stars de la Team USA s’étaient logiquement habituées à être traitées comme des athlètes de haut niveau : « Nos avions étaient privatisés, on dormait dans les plus beaux hôtels, on avait le meilleur équipement », dit Diana.

Mais quand elles font leur entrée en WNBA, les deux joueuses comprennent bien vite que les choses s’apprêtent à changer. En tant que rookies, elles ne gagneront pas plus de 45 000 dollars sur les quatre mois que dure la saison de WNBA. En plus de cela, elles devront s’accommoder de certaines règles mises en place par la ligue dans le but de limiter les dépenses, comme, par exemple, une interdiction d’utiliser des avions privatisés et une obligation, pour les plus jeunes joueuses, de partager leur chambre d’hôtel lors des déplacements.

Très vite, Sue et Diana se heurtent donc à la réalité financière de ce que signifie jouer en WNBA. Elles comprennent qu’elles n’ont d’autre choix que de suivre la tendance générale, c’est-à-dire d’envisager les opportunités qui s’offrent à elles pour jouer à l’étranger pendant le reste de l’année.

Passée chez les pros deux ans avant Diana, c’est Sue qui, la première, découvre que certains clubs européens sont prêts à déployer de très gros moyens pour attirer les stars de la WNBA. Dès sa première année, on lui propose ainsi un contrat très alléchant d’environ 200 000 dollars pour défendre les couleurs du Dynamo Moscou. Elle accepte, et part pour la Russie.

Mais une fois sur place, les choses se révèlent plus compliquées que prévues. Outre son coach qui ne parle pas un mot d’anglais, ce qui implique qu’elle ait un traducteur à ses côtés en permanence, elle est surtout frappée par la solitude et l’ennui : entre les entraînements, elle passe la plupart de son temps seule, chez elle, à ne savoir que faire et à envoyer des messages vers les États-Unis. À la fin de la saison, elle décide donc que c’en est fini pour elle et qu’elle ne jouera plus en Russie.

Mais c’était sans compter sur l’arrivée de Diana dans les rangs de ce même Dynamo l’année d’après, assez pour la faire changer d’avis. DT aussi est rassurée par la présence de son amie, même si, après quatre ans passés à jouer pour Geno Auriemma, elle pense avoir tout vu : « Sue sera là. Ça ne peut pas être si dur que ça. Certes, il va neiger, mais je viens de passer quatre ans dans le Connecticut. Ce n’est que de la neige. » Mais Dee faisait fausse route. Près de quinze ans après, elle reste tout aussi catégorique : « Ce fut la pire expérience liée au basket de ma vie. » Les installations du Dynamo étaient vétustes, elle ne comprenait pas le style de jeu, et il n’avait fallu que quelques semaines avant que son coach et elle ne se mettent à se détester ouvertement. Cette fois, Sue et Dee sont bien décidées à dire au revoir à la Russie.

 Mais c’était sans compter sur l’intervention d’un individu qui demande à les rencontrer avant leur départ. Cet homme, c’est Shabtai Von Kalmanovich, un riche homme d’affaires russe, co-propriétaire du Spartak Moscow. Dès qu’elles arrivent dans son bureau situé dans le centre de Moscou, Sue et Diana comprennent qu’elles ont affaire à un personnage singulier. L’homme qui se tient devant elles est petit et trapu. On comprend que sa tenue — un tee-shirt blanc sous un costume noir — est faite pour impressionner. « On voyait que tout ce qu’il portait valait beaucoup d’argent », se souvient Dee. Ah, et n’oublions pas sa coupe mulet. Une coupe mulet bouclée, précise Sue.

Une fois passé l’étonnement initial, Diana va droit au but. Elle dit ouvertement à Kalmanovitch qu’elle ne jouera plus jamais en Russie. Mais le propriétaire du Spartak lui répond qu’elle ne connaît pas véritablement le pays. Pas tel que lui le connaît, en tout cas. Mais surtout, il leur fait une proposition. Pour un salaire pouvant aller de 400 000 à un million de dollars en fonction des bonus, il veut que les deux légendes rejoignent son équipe. Soudain, Diana se ravise : « Je pense que je peux m’habituer à la Russie ».

Dès cet instant, Sue et elle découvrent donc la façon d’opérer bien particulière de Shabtai Kalmanovitch : un « aussitôt dit aussitôt fait » qui deviendra sa marque de fabrique, et dont l’efficacité prodigieuse ne cessera de les étonner. Gêné par la règle qui autorise les clubs russes à n’avoir que deux joueuses américaines dans leur effectif ? Shabtai décroche son téléphone, échange quelques mots en hébreux avec une connaissance à laquelle il fait valoir que le père de Sue est d’origine juive, et lui obtient un passeport israélien en deux heures. Quand l’heure à laquelle son équipe doit prendre l’avion pour rentrer à Moscou après un déplacement ne lui convient pas ? Il passe un simple coup de téléphone à la compagnie aérienne et décale le vol de deux heures.

Shabtai use de son aura et cultive le mystère qui l’entoure en contant toutes sortes d’histoires sur son passé à ses joueuses : de Michael Jackson à Giorgio Armani, l’homme d’affaire avait des relations partout dans le monde. Comme l’affirme le journaliste israélien Omri Assenheim, la force de Kalmanovitch, c’était de pouvoir devenir proche de tout le monde, aussi bien de personnalités haut-placées que de son chauffeur de taxi : « Il avait cette capacité unique et au combien utile à s’entendre avec les gens. Toutes sortes de gens. ». Et ce trait propre à sa personnalité n’était pas sans lien avec son passé. Dans les années 1970 et 1980, il avait vécu en Israël, où il s’était lié d’amitié avec Golda Meir, le Premier Ministre de l’époque. Puis, en 1987, il s’était fait arrêter en Angleterre pour avoir fait entrer plusieurs millions de dollars de faux chèques dans le pays. Renvoyé en Israël, son identité d’espion du KGB avait alors été découverte, et on l’avait condamné à neuf ans de prison. C’est suite à son incarcération que Shabtai Kalmanovitch avait décidé de revenir à une de ses passions premières, le basket, et de devenir co-propriétaire du Spartak Moscow.

Qui était véritablement Shabtai Kalmanovich ? Personne, sans doute, ne le sait vraiment. Sue et Diana elles-mêmes confient que la question de son identité véritable leur trottait toujours au fond de la tête. « Dans chaque ville où on allait en déplacement, il y avait toujours une voiture noire avec un homme tenant une valise qui l’attendait. Je ne sais pas ce qu’il y avait dans cette valise. Peut-être des crevettes, peut-être deux millions d’euros. Qui sait. » Mais, ajoute Diana, « je ne peux parler de Shabtai qu’en faisant référence à la façon dont il nous traitait. »

Et sur ce point, pas de débat : Shabtai traitait ses joueuses comme personne ne les avait jamais traitées auparavant. En déplacement à Paris, elles logeaient dans les plus beaux hôtels. À Moscou, elle se partageaient un mini-palace avec piscine et sauna. Souvent, Shabtaï leur prêtait sa carte bancaire pour qu’elles aillent faire du shopping. « On se disait : est-ce qu’on peut dépenser 500 dollars ? Mille dollars ? Puis l’adrénaline montait et on se demandait ‘Est-ce que je ferais bien d’acheter ce sac Louis Vuitton qui coute 3000 dollars et je n’aurais jamais acheté en temps normal ? Oui, et je vais en prendre un pour moi et un pour Jessika Taurasi’. Puis on montait dans la voiture avec vingt-cinq, trente sacs. On avait l’impression d’avoir braqué une banque », se souvient Diana.

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Mais la folle destinée de Shabtai Kalmanovitch se finit sur une note tragique. Le deux novembre 2009, à dix-sept heures, celui qui était devenu le « papa russe » de ses joueuses américaines est tué devant le Kremlin par une trentaine de coups de feu qui transpercent les vitres de sa Mercedes noire. Cette même Mercedes que Sue et Diana avaient pris l’habitude de voir tous les jours. Celle dans laquelle elles étaient montées tant de fois. En guise d’hommage et de remerciement, elles ne pourront qu’aller au bout de leurs efforts pour gagner le championnat d’Euroleague l’année suivante, et revêtir un tee-shirt blanc sur le podium en mémoire de celui qui les avait reçues dans son bureau cinq ans auparavant.

Pour finir, nous sommes en droit de nous interroger sur la raison pour laquelle l’histoire de Shabtai Kalmanovitch nous surprend tant. Les mille vies de l’homme d’affaire russe, son passé d’espion, son extravagance assumée et son pouvoir évident contribuent sans doute au mystère du personnage.

Mais au-delà du folklore, si l’histoire de Kalmanovitch nous interpelle, c’est sans doute parce qu’elle nous met en face d’une réalité peut-être difficile à accepter. Comme le dit Kate Fagan, ancienne journaliste à ESPN, l’histoire de Shabtai Kalmanovitch nous rappelle à tous qu’il aura fallu attendre qu’un milliardaire russe au passé trouble décide de se reconvertir en propriétaire de club de basket pour que des joueuses comptant parmi les plus grandes athlètes au monde soient enfin traitées à la hauteur de leur talent.

Dans la vie de Sue Bird et Diana Taurasi, il y a eu un avant et un après Shabtai. Diana le dit clairement : « Je pense à ce que j’ai à présent dans ma vie d’un point de vue financier, et c’est en grande partie du à Shabs. Rien que ça, c’est fou à imaginer. Tout ça grâce à une personne qui s’est intéressée au basket féminin. Mais que serait ma vie si ça n’était pas arrivé ? Aujourd’hui, je pourrais prendre ma retraite et ne pas avoir de problèmes financiers. Peu de personnes peuvent dire ça à 38 ans. Tout ça parce que cet homme nous a donné, à moi et aux autres, cette opportunité. »

Mais dans le monde du basket féminin, l’interlude Shabtai ressemble plus à une parenthèse qui s’est vite refermée. Ou plutôt, à un modèle qui continue d’opérer dans une moitié du monde sans avoir réussi à s’exporter vers l’autre. Les grandes écuries russes comme Kursk ou Ekaterinburg continuent à attirer les stars américaines qui, elles, continuent à soumettre leur corps au rythme infernal de saisons se succédant sans fin toute l’année, et d’une année sur l’autre.

De l’autre côté de l’Atlantique, peu de choses ont changé. Cette semaine encore, les joueuses de l’équipe nationale des États-Unis, victimes de vols annulés à répétition, goûtaient aux joies des heures interminables passées à attendre à l’aéroport, dans un périple qui, au total, dura plus de quarante-six heures. La tournure apocalyptique des évènements a poussé Diamond DeShields, l’arrière du Chicago Sky, à prendre la parole : « Nous sommes l’équipe nationale des États-Unis, vainqueure des six dernières médailles d’or olympiques. En dépit de cela et de tout ce que nous avons accompli dans le basket, dans des situations comme celle-ci, on nous rappelle ce que c’est, aujourd’hui encore, que d’être une femme dans le sport. Ou peut-être une femme tout simplement. »

 Une chose est sûre : avec Shabtai, les choses ne se seraient pas passées ainsi.

 Le mystère de sa mort reste irésolu.

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